"Moi, je n’ai pas d’esprit, je ne suis qu’un corps"
Comment parler de Suppôt et Suppliciations, ce livre où retentit l’affirmation du corps, du Je par delà la mort d’Antonin Artaud ?
Entre les lettres témoignant d’une certaine paranoïa et les poèmes fragmentés se dessine un corps immortel, toute une odyssée sans origine, ni fin. Il ne s’agit pas de savoir a quel point les écrits d’Artaud sont le produit de sa folie, mais de voir quelles fonctions, quelles possibilités ces derniers donne à l’existence d’Artaud, et à la nôtre peut-être.
Il y a dans Suppôt et Suppliciations une horreur de se laisser contenir dans un ensemble qualifiant, qui donnerait une identité qui serait énoncé par un autre. Ainsi : "C’est au commencement de quoi que ce soit il n’y a pas d’être,/ mais une espèce d’individualité répulsive qui n’est jamais ceci ou cela, et s’est toujours refusée à entrer dans ceci ou dans cela./ Et l’être qui peut vouloir être un être/ ne fut jamais que son ennemi néant,/ mis par lui en état de perpétuel anéantissement.". Sa propre procréation est aussi conçue de cette manière : "Or je suis le père-mère,/ni père ni mère,/ni homme ni femme,/ j’ai toujours été là/ toujours été corps,/ toujours été homme".
A travers la folie, a travers la mort, Artaud ne cesse d’affirmer son éternité, ce statut divin : "les Thibétains, les Mongols, les Afghans écoutant dieu/ou que le gouffre l’infini leur parle,/sondant/l’antre éperdu du nœud par où le cœur inconscient libère/sa soif propre d’avant ce qu’on appelle le néant,/ disent avoir entendu en eux monter les syllabes de ce vocable : / AR-TAU"
Il n’y a pas de différence entre le poème et l’existence pour Artaud. C’est justement parce qu’il pense sa langue immortelle que lui l’est. Ses poèmes sont vivants car ils ne se laissent pas fixer en un sens précis, autrement dit, ils ne se laissent pas mourir. Ce n’est pas tant les interprétations qui font la vie d’un texte mais son caractère insaisissable, se détachant tout juste de cet abîme de silence qu’est la folie, infini car ils le disent, car le corps d’Artaud est un poème en réalité.
"Cogne et foutre,
Dans l’infernal brasier où plus jamais la question de la
parole ne se pose ni de l’idée.
Cogner à mort et foutre la gueule, foutre sur la gueule,
est la dernière langue, la dernière musique que je connais,
et je vous jure qu’il en sort des corps
et que ce sont des CORPS animés
ya menin
fra te sha
vazile
la vazile
a te sha menin
tor menin
e menin menila
ar menila
e inema imen"