Substance Mort , ou A Scanner Darkly , est un roman de science-fiction parut en 1977 , une des œuvres de Phil Dick que beaucoup considèrent comme majeur au sein de sa bibliographie. Avec Ubik , Le Maître du Haut Château et Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? , ce livre forme l'un des quatre angles du "bouclier" Dickien comme j'aime à le surnommer. Ce bouclier , pour que vous puissiez vous le figurer vous aussi , est pour moi le regroupement donc des quatre œuvres phares de l'écrivain qui obscurcissent de fait le reste de sa bibliographie , tout aussi - si ce n'est bien plus - intéressante. En effet - et loin de moi l'idée d'être ici pompeux et absolument imbuvable - quand on vous parle , ou parlera de K. Dick , les gens traite-ront- sans l'ombre d'un doute de ces quatre livres ci sans jamais faire allusion à tout les autres , tel que La Trilogie Divine ou même Le Dieu venu du Centaure qui gagne pourtant à être un livre tout aussi culte qu'Ubik , résumant bien malheureusement l'intégralité de l'oeuvre et de ce fait la vie de l'auteur de Berkeley entre ces quatre romans.
Substance Mort traite d'un avenir proche dans lequel - oh surprise ! - les excentrismes de la contre culture hippie se serait éteins et auraient doucement glissée vers les rives d'un autoritarisme libéral renouvelé. Le monde se divise en deux catégorie : les straights , c'est à dire les gens convenables , qui vont au bureau , portent des cravates , tondent leurs gazons régulièrement et estampillent leurs pare-chocs des stickers à l'effigie des écoles hors de prix qu'ils paient à leurs chiards ( ce genre de conneries en somme ) , et les freaks. Qui sont les freaks ? Des drogués , pour être clairs. Ils sont cachés parmi les straights et se défoncent à longueurs de journées à coup de Substance M - drogue redoutable qui fait , progressivement , fondre les deux hémisphères de votre cerveau - , le tout dans un désœuvrement total bien entendu. Robert "Bob" Arctor est l'un de ces toxicomanes. Il partage sa maison avec deux autres drogués , Jim Barris et Ernie Luckman , et depuis un certain temps il asticote une dealeuse du nom de Donna Hawthorne que beaucoup de drogués gravitant autour de lui considèrent déjà comme sa "nana". Pourtant , Bob cache un terrible secret à ses amis : il est en vérité un agent des stups , chargé d'enquêter sur l’irrigation en substance M de la côte Ouest. Mais sa véritable identité étant dissimulé à sa propre hiérarchie , c'est totalement "inconsciente" du paradoxe que cette dernière va lui demander de concentrer ses recherches sur...Bob Arctor. Lui même , en l’occurrence.
J'ai fait une connerie. Une grosse connerie. J'ai vu A Scanner Darkly , le film , avant de lire Substance Mort , le livre. Et - déjà - je dois dire une chose : Richard Linklater , réalisateur du film A Scanner Darkly ( en plus d'être le réalisateur du génial Dazed and Confused , mais c'est une autre histoire ) a tout compris de l'oeuvre. Tellement bien interprété chaque scène et chaque subtilité qu'il m'a été impossible tout au long de la lecture de me détacher de A Scanner Darkly , le film. L'idée de la rotoscopie par exemple dépeint à merveille l'idée principale du livre d'un monde statique , cartilage immobile de la Réalité unique , que les shoots de Substance M - aussi invisible dans le livre que dans le film - font se mouvoir , s’alterner , bouger en somme d'une manière anormale. De plus , il me fut impossible d'imaginer Jim Barris autrement que sous les traits de Robert Downey Jr. , et Donna Hawthorne sous les traits de la ravissante - même sous l'effet de la rotoscopie , ce qui est un exploit ! - mais hors-sujette Winona Ryder. Oui , hors sujet car Donna n'est pas blonde et vêtue dans des tenues amples , mais posséde une chevelure noire , un cuir et des boots. Elle est , en somme , la représentation dans ce roman de la fameuse "fille aux cheveux noirs" , un personnage récurent dans l'oeuvre de Dick , fil rouge de ses obsessions , représentation de sa jumelle décédée venant à la fois le conseiller et le détruire.
Au delà de cette erreur bénigne d'avoir un tant soit peu imaginé que Linklater n'était pas un réalisateur talentueux au point de biaiser mon sens pourtant aigue de l'imagination procédurale , je dois dire que Substance M est un livre dans lequel on se perd. On s'y perd non pas à cause de toute l'intrigue paradoxale , mais parce que dans Substance M j'ai réussi à relever un grand nombre de laïus - sur la mécanique , par exemple - qui emmène bien trop péniblement le lecteur d'une page à l'autre. Je n'ai jamais ressenti ça dans n'importe quel autre roman de Dick , et j’espère ne plus avoir à sentir cette exaspération quant aux gains de temps presque ridicules de ses personnages sur leurs destins , leurs paranoïas , leurs folies.
Ensuite , le très grand avantage que possède ce livre , c'est une galerie de "gueules". De personnages vraiment attachants. Même Barris , l'enculé de service , est tout bonnement exceptionnel et quand on sait que tout ces personnages sont issus de personnes ayant vraiment côtoyé Dick durant une période sombre de sa vie , on ne peut que raviver envers la vie une flamme d’intérêt toute particulière quant à nos aspirations sur nos contemporains. Peut-être tomberons nous aussi sur des gens aussi intéressants - même si ils sont drogués , fous et de fait dangereux...Bon , oubliez ce que je viens d'écrire en fait. On retrouve des personnages d'autres romans , tel que Donna dont j'ai la très net impression d'avoir déja croisé la route dans Le Bal des Schizos par exemple , sous les traits d'une certaine Pris.
Bref , lisez le avant de voir le film. Ne faites pas comme moi.
Et puis regardez le film quand même...