Cet étrange roman, écrit à quatre mains, raconte la construction d’un barrage et, bien des années après, le contrôle technique de celui-ci par un ingénieur solitaire.


Arrêtons-nous déjà sur cette drôle d’expression : écriture à quatre mains. Pourquoi quatre mains ? Les deux auteures réunies sont-elles ambidextres ? Car c’est un étrange projet que nous proposent les éditions Inculte : un petit livre (112 pages) écrit par deux auteures confirmées de la littérature française. L’une, Maylis de Kerangal, se passionne pour la technique, notamment la construction (Naissance d’un pont), la chirurgie (Réparer les vivants), l’art (Un monde à portée de main)… L’autre, Joy Sorman, s’est intéressée aux institutions médicales (A la folie) ou encore au fantastique (La Peau de l’ours). Tous ces thèmes se recoupent et se mélangent pour former Seyvoz.


Seyvoz (nom parfaitement trouvé) se présente comme le barrage le plus haut de France. Sa construction, qui a nécessité de faire appel à de nombreux émigrés, ne cache par la tragédie humaine (morts d’ouvriers) et la douleur mémorielle. Car cette construction ne s’est pas faite sans heurt : le petit village de Seyvoz a été englouti, au grand désespoir des paysans qui l’habitaient. Bien des années plus tard, l’ingénieur Tomi Motz est dépêché sur site depuis la capitale pour inspecter le barrage. On ne lui a pas dit quel était le problème et qu’importe puisqu’il est bien décidé à faire son travail avec sérieux. Mais les circonstances ne l’aident pas, et le réel se déforme.


Si Seyvoz devait s’apparenter à un épisode de série télé, il se rapprocherait d’un épisode de Twilight Zone (La Quatrième dimension). On s’en souvient, cette série explorait l’intrusion du fantastique dans le quotidien d’Américains moyens. Ici, c’est Tomi Motz qui se retrouve confronté à l’incompréhensible : son collègue qui était censé l’attendre est introuvable, l’hôtel, soi-disant complet, est bien trop silencieux, les protagonistes apparaissent comme par magie, les paysages tanguent… Et, face à ce côté vaporeux et fantastique, se trouve un côté technique génialement retransmis où les cloches d’une église deviennent des personnages à part entière. Les deux temporalités s’alternent, portées par la grâce de l’écriture de Maylis de Kerangal et Joy Sorman.


« Le brouillard appartient à la terre et à l’eau, il monte, il ne cesse de monter, de même que monte l’affolement de Tomi, qui serre les mains sur le volant, le cou rentré dans les épaule, la plante du pied suspendue au-dessus de la pédale de frein. Les écharpes vaporeuses apparues au sortir de Faucelles ne forment plus qu’une crasse stagnante où il navigue à vue, où il s’enfonce, sûr d’avoir bousculé du côté de l’informe et de la désolation. Son regard erre sans accrocher le moindre repère : le paysage a disparu. La montagne s’est désintégrée. Pulvérisée dans l’atmosphère en un amas de gouttelettes glacées qui dégoulinent le long des vitres et de ses tempes blêmes. »

JulienCoquet
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le 17 août 2022

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Julien Coquet

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