Ce livre relève du genre apocalyptique, mais ce n'est pas un livre facile, pour plusieurs raisons.


D'abord, l'apocalypse n'est vécue que sur une aire géographique limitée, entre une bourgade, Hamilton, proche d'une ville, Mount Royal, et le littoral, à 200 km. Les personnages partent d'Hamilton, vont sur la côte, puis reviennent au même endroit 10 ans après, trajectoire qui accentue l'idée d'impasse.


Ensuite l'écriture du livre est assez déroutante, car j'ai eu l'impression que l'auteur ne souhaitait pas décrire tant des scènes d'action que la recherche d'un quotidien perdu : Ballard décrit ses personnages tantôt comme engoncés dans un quotidien de substitution, tantôt à l'affût de signes qui montrent que cet équilibre trompeur n'est pas viable. Tout son livre repose sur le sentiment d'insatisfaction. Et même les scènes d'action ne sont pas libératoires : elles sont une déperdition d'énergie, souvent aussi une étape dans l'avilissement. Sauf pour quelques personnages (et encore ?).


Enfin car le héros, le docteur Charles Ransom, n'est pas vraiment quelqu'un avec qui le lecteur aura plaisir à s'identifier. Lorsqu'il est entouré de personnages visiblement dérangés, il s'efforce de ne pas montrer sa répugnance, en revanche il abandonne à leur sort d'autres personnages qui sont plutôt attachants, et dont on s'attendrait à ce qu'il reste avec eux (Catherine, bien sûr, mais aussi Jordan Philip). Et le récit restant focalisé sur lui, on aimerait bien savoir ce que font ces personnages qu'il ne suit pas, comme si le récit avait choisi de se focaliser sur le mauvais gars.


Le livre se découpe en trois parties.


Première partie. Elle décrit le départ d'Hamilton, autrefois au bord d'un lac et d'un fleuve en voie d'asséchement. Ransom songe à rester. Son ex-femme part avec un flic sur la côte, comme beaucoup de gens. Le milliardaire du coin, le flippant architecte Lomax et sa soeur dégénérée, Miranda, restent sur place, tout comme Quilter, un attardé mental doté d'une force prodigieuse. La vie locale meurt : l'eau étant coupée, les gens doivent incinérer leurs déchets. Les poissons morts jonchent le fleuve, et Jonas, une sorte de prophète, prend la tête des pêcheurs et veut partir à la recherche d'un hypothétique fleuve caché. On apprend la raison de la sécheresse : la pollution a recouvert les océans d'une pellicule uniforme qui a mis fin au cycle de l'eau. Jonas est détrôné par son second, qui fait des pêcheurs des pillards. Le zoo, tenu par Catherine, aidée du louche et inquiétant Whitman, est pillé, libérant les fauves. Devant le chaos, Ransom descend jusqu'à la côte avec Mme Quilter (une vieille folle), Catherine, Philip Jordan (un ado qui vit en marge, sur le fleuve) et son père adoptif, un vieux black. Sur la côte, des usines de dessalement se mettent en place mais les réfugiés s'entassent dans ce qui ressemble un peu à des camps.


Deuxième partie. 10 ans ont passé. Ransom s'est remis avec son ex-femme et vit dans une épave de bateau. La mer a reculé devant le sel du dessalement, et survivre est très dur, sauf à l'intérieur de communautés fermées, comme celle qui s'est organisée autour de l'ancien pasteur d'Hamilton (depuis devenu gâteux) et de ses filles. Philip s'est brouillé avec Ransom, qui veut quitter cette vie. Tous deux observent un jour un jeune lion, qui ne peut être venu que d'Hamilton, ce qui voudrait dire qu'il y a de l'eau entre la ville et la côte. Les deux compagnons d'infortune se réconcilient avec l'idée d'une expédition pour retourner à Hamilton. Au départ, Philip veut utiliser un corbillard qu'il a retapé, mais la batterie est morte.


Troisième partie. Sur une charrette qu'ils poussent, un petit groupe remonte le fleuve asséché, à la blancheur aveuglante. Il est formé de Mme Quilter (qui a survécu comme voyante), de Catherine (qui cache ses motivations), de Phlip et de Ransom. En chemin ils croisent un train désaffecté, et d'étranges colonnes de fumées. Ils retrouvent une ville fantôme, sans eau, recouverte de poussière fine. Ransom retrouve son ancienne péniche, dont le réservoir d'eau caché a cependant été pillé. Chacun se sépare, et Ransom finit par apercevoir... un lac, près de la villa de Lomax. Il y va avec Mme Quilter, retrouve Miranda et Quilter, qui ont eu trois enfants difformes et ont installé une tente dans la piscine désaffectée. Lomax, pour sa part, vit retranché dans une sorte de temple en matériaux de récupération. Le lac a été formé en vidangeant des citernes cachées que Lomax connaissaient, mais c'est tout ce qu'il reste. Ransom obtient de rester avec Mme Quilter, devenant une sorte d'homme de main de Quilter, avec Whitman. Il détrousse les chambres froides à la recherche de vieilles conserves. Il chasse Jonas, qui est encore vivant. Il ne se soucie pas de ce que sont devenus Philip et Catherine, ne s'occupant plus que de sa propre survie. Mais Lomax perd les pédales, et vide le lac. Whitman le tue. Catherine et Philip viennent sauver Jonas, qui avait été fait prisonnier, et disent à Ransom qu'ils partent à la recherche du lac caché. Ransom part, et le ciel s'assombrit. "Un peu plus tard, il commença à pleuvoir, mais Ransom ne s'en rendit pas compte"


Aujourd'hui le post-apo est bien représenté, mais il est assez optimiste, au fond il relève de la robinsonnade. Même dans La route, qui passe pour très sombre, le héros n'a pas à transiger avec des impératifs moraux comme le fait de défendre son enfant. Ici, le personnage central est trouble, il a parfois des moments d'insensibilité par rapport à son propre passé qui le rendent effrayant. Sa déchéance morale à la fin est une abdication.


Et ce livre est le récit d'un retour à l'animalité. Il est parsemé de visions évocatrices, comme ces bateaux échoués à la poupe desquels se tient un individu perdu, ces voitures enterrées sous le sable qui servent de cercueil, cette communauté des bords de mer qui se réorganisent autour de marais salants, d'un artisanat à base d'os de baleine et d'une temporalité marquée seulement par le retour des tsunamis, sous un ciel perpétuellement noyé dans le soleil. Les colonnes de fumées, un symbole récurrent, ne sont que le mirage de ce qui a disparu : les nuages.


Mais comme je l'ai dit, c'est une SF postapocalyptique où l'on ne trouve pas, comme ailleurs, de joie dans le pillage ou l'éclatement du carcan de la société. Comme dans cette SF pessimiste des années post-Hiroshima qui a donné des films comme Le dernier rivage, c'est vraiment un adieu au monde ancien. Un des thèmes récurrent est celui de l'identité perdue (dans des phrases alambiquées qui sonnent un peu hippies), mais traitée non comme la source d'une quelconque nostalgie, mais d'une véritable perte, douloureuse et semble-t-il irréversible. Et la pluie de la toute dernière ligne, qui était une conclusion attendue, n'est cependant ni expliquée, ni l'assurance d'un retour à la normale.


Sécheresse n'est pas mon livre de SF préféré, mais il fait preuve d'une réelle originalité. Je suis un peu dubitatif sur la traduction française, mais bon.

zardoz6704
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le 14 août 2015

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zardoz6704

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