Après le Rouchon-Borie et surtout le Wauters, j'étais un peu en colère contre France Culture qui m'avait imposé des lectures désagréables. Je termine cette sélection du Prix du roman des étudiants France Culture-Télérama sur une note positive, ou disons que je ne me suis pas énervé et ai même pris du plaisir, ce qui n'est déjà pas mal.

Rocky, dernier rivage n'est pas un chef d'oeuvre, entendons-nous, mais ce n'est pas non plus un mauvais livre. On y sent l'influence du cinéma et des séries, ne serait-ce que par le sujet : il s'agit d'une fiction post-apocalyptique. Une famille d'ultra-riches fuit notre monde en pleine destruction pour se réfugier sur une île suréquipée, et se retrouve finalement dernière survivante de l'espèce. Enfin, dernière, on découvre l'existence d'un couple dont on comprend au fur et à mesure qu'il était employé par la famille, et qu'il a disparu. Mécanique de suspense classique des séries télé, Gunzig maîtrise, ça va vite, les pages se tournent toutes seules, on a envie de savoir comment on en est arrivé là et comment ça va finir. Après, et c'est la limite du genre et de l'exercice : il n'y a pas de réelle surprise tant ce type de fiction nous est rebâché dans tous les sens. Mais ce n'est pas déshonorant, ce n'est pas la Palme d'Or 2022 Sans Filtre : les riches sont odieux et détestables comme il se doit, les pauvres sont sympas et débrouillards, mais tout ne se passe pas exactement comme on pourrait s'y attendre dans une situation de retour à la nature : Marco et Ida proposent une cohabitation pacifique respectueuse plutôt que de chercher à se venger de leurs anciens maîtres.

Le roman est découpé en trois parties, la 1 et la 3 sont contemporaines, la 2 dans le passé. Chaque personnage a son point de vue exposé dans un chapitre. Là encore, classique, ça fonctionne mais sans plus. Les passages sur l'amour perdu de l'ado Alexandre et sur l'enfance enfuie de sa petite sœur Jeanne sont assez touchants, mais l'ensemble reste assez cliché et sans enjeu. Oui, notre civilisation profite aux riches qui ne sont rien sans elle, mais on le savait déjà. Les énumérations (de marques, beaucoup, de nourriture...) sont assez ennuyantes, en avait-on vraiment besoin pour montrer la matérialité et la prédation capitaliste des ultra-riches ?

Influence du cinéma encore : l'auteur parle très bien des teen series et les pages des chapitres Jeanne qu'il consacre à la série fictive West Sacramento College sont assez bien vues. Reste le mystère du titre. Pourquoi Rocky ? La révélation est tout à fait téléphonée :

le cliffhanger de la partie 1 est la perte de toutes les ressources numériques (films, ebooks, albums...) stockées sur des serveurs et divertissant les insulaires. Le seul film qu'il leur reste est finalement Rocky.

L'auteur n'en fait rien de particulier et ç'aurait été autre chose que ça n'aurait rien changé (pourquoi pas Camping, dernier rivage, ou Les Tuches, dernier rivage ?). Certain-es de mes collègues juré-es y ont vu une histoire de résilience, mouais... La notion est galvaudée ; après tout, les Tuches aussi sont résilients : Jean-Paul Rouve finit quand même par devenir Président de la République dans un des opus !

La possibilité d'une île aurait fait un excellent titre alternatif, dommage que ce soit déjà pris. Par une autre histoire de science-fiction, décidément... Ce n'est donc pas très bon, mais pas très mauvais non plus. Ce n'est pas le roman du siècle mais ça tient, ça marche, ok. Dans le rayon littérature de pur divertissement, ce n'est pas mal du tout (et puis après avoir lu Marc Levy, on relativise beaucoup de choses...).

antoinegrivel
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le 6 déc. 2023

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Antoine Grivel

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