Contre les légendes, faire l'histoire de "l'homme-principe"

D’habitude peu porté sur les travaux biographiques, il n’en est plus de même lorsque l’on évoque un personnage comme Robespierre. En effet, mettre la focale sur « l’incorruptible » est une formidable manière d’entrer en Révolution. A travers son engagement, tous les débats des différentes phases de la Révolution française sont abordés. On suit les successives recompositions et radicalisations des différents moments révolutionnaires, les fractures philosophiques, stratégiques, ses grands espoirs, ses piétinements et ses impasses fatales. Mettre la focale sur Robespierre, c’est aussi regarder un formidable objet d’Histoire, avec ses récits concurrents, une légende noire tenace, et plus marginalement une légende dorée qu’il s’agit tout de même de confronter. L’ouvrage de Hervé Leuwers se propose très vite de traiter cette question, de montrer comment se construisent ces légendes - plutôt la légende noire – de les critiquer, en ayant recours à une rigueur méthodologique qui ne se dément pas. Et cela bien que l’on ressente beaucoup de sympathie de l’auteur pour son sujet. De la bienveillance qui semble éviter l’écueil de la complaisance.

L’ouvrage se propose d’abord d’aborder la famille, la (brillante) scolarité du jeune Maximilien à Louis le Grand, puis sa vie arrageoise d’avocat et d’Homme de lettres. Ce passage est très intéressant et permet de donner de l’épaisseur à un personnage dont les représentations se limitent souvent à une caricature d’austérité morale, étranger à toute émotivité. Derrière ce jeune Robespierre, on voit que le futur conventionnel n’est pas très loin, il est en formation. Dans la période suivante, après la déclaration de l’Assemblée constituante, il sort peu à peu de la foule des députés du Tiers avec des propositions qui le singularisent. On peut noter notamment son soutien constant au suffrage universel, les contradictions qu’il relève entre droits de l’Homme et la constitution en formation, l’opposition au véto royal, etc. « L’incorruptible », « l’Homme-principe » est déjà bien en place, et les événements politiques à venir, son éloquence, vont lui donner un poids croissant.

L’ouvrage propose d’ailleurs beaucoup de citations qui nous permettent de nous faire à l’idée de ces morceaux d’éloquence qui demeurent souvent très puissants, et dont on ressent le sens argumentatif et philosophique aigus, malgré les 2 siècles qui nous en séparent. Hervé Leuwers nous emmène également au centre des querelles au sein des clubs et de la Convention, auxquelles Robespierre prend un rôle toujours plus actif. Il s’en prend au parti de la guerre, et de ceux qui doivent la mener, ainsi La Fayette, Dumouriez et Brissot. La crainte de la conjuration étrangère étant un élément de division et de radicalisation compliqué à canaliser. Cet élément-là, ainsi que celui de la guerre civile conduit de fait à la phase qui deviendra ladite Terreur. L’auteur nous montre bien le rôle joué par Robespierre dans ce drame. Il est parfois indulgent, parfois suiveur, rarement instigateur. Tout comme pour les représentants en missions dont il se méfie fortement des excès qu’ils exerceraient en province. Cependant, son poids au comité de salut public, son acceptation des abus du tribunal révolutionnaire deviennent de plus en plus importants, et culminent avec la lutte contre les factions qui s’achève avec les mises en accusation des Hébertistes, mais aussi de Danton et Desmoulins. Vient ensuite la « loi de Grande Terreur » pour laquelle il argumente favorablement. On rentre dans la marche vers Thermidor, elle est mécanique, aucun levier ne semble pouvoir stopper la montée aux extrêmes. Robespierre continue de désigner des ennemis jusqu’au fameux discours du 8 thermidor et devient ainsi l’homme à abattre pour sauver sa peau.

L’auteur nous montre par la suite que la formulation de la légende de Robespierre, instigateur d’un système cohérent, qui serait celui de « la Terreur », est une construction qui se met en œuvre juste après Thermidor. Les promoteurs de cette réinvention de la période écoulée étant souvent les principaux responsables, qui souhaitaient pouvoir se dédouaner sur la responsabilité d’un homme. A la vue de son agitation et de sa réputation d’alors, Robespierre était le client idéal. Il était le principal obstacle pour clore la période, avec ses nombreux soutiens qui l’accompagneront à l’échafaud après le 9 thermidor (il convient toutefois de rappeler que la sortie du tribunal révolutionnaire n’a pas été réalisé après thermidor, loin de là). De plus, Robespierre a donné des jetons à ses adversaires pour que cette légende paraisse crédible et puisse s’imposer. C’est ce que démontre l’auteur, en montrant comment la conceptualisation qu’il a proposé de « gouvernement révolutionnaire » a pu être exploitée par les thermidoriens. Mais il y a aussi la crainte que sa popularité pouvait provoquer et qui ont conduit certains à l’accuser d’aspirer à la dictature dès 1791, avec des récurrences croissantes au fil des années, qui ont fait de cette idée une hypothèse sérieuse pour l’opinion publique.

En résumé, une très bonne biographie, qui nous donne un portrait de Robespierre en rupture avec la tenace légende noire, mais qui semble très cohérent avec ce que produisent les autres historiens actuels à son sujet. Le texte constitue un vrai récit et est donc une lecture assez plaisante, bien que les sujets traités sont parfois assez pointus et circonstanciels.

Ca devrait me donner envie de me refrotter aux travaux de l'auteur pour la biographie de Camille et Lucile Desmoulins.

Cabeleira
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le 25 nov. 2023

Critique lue 20 fois

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