On connaissait déjà le principe de l'uchronie : un récit construit à partir d'un point de divergence par rapport à l'Histoire que nous connaissons. Norman Spinrad nous livre ici, non sans malice, une uchronie et un livre d'anticipation, et ceci à travers un double roman.
Je m'explique. Rêve de fer n'est pas un roman de Norman Spinrad, ou en tout cas, n'est pas présenté comme tel. Tout ce livre est construit comme s'il s'agissait d'une réédition d'un best-seller de la SF américaine dont l'auteur n'est autre... qu'Adolf Hitler !
Car dans le monde construit par Spinrad, Hitler n'est jamais devenu le chef du parti nazi. Il a émigré en 1919 pour les USA où il est devenu illustrateur de revue de SF avant de signer quelques romans de SF et de Fantasy. Rêve de fer nous est donc présenté comme le roman posthume d'un Hitler récompensé par un prix Hugo et salué comme le nouveau Tolkien, son œuvre ayant inspiré, nous dit-on, une foule de lecteurs. Le titre : Le chevalier de la Svastika. Tout un programme.
Voilà pour la partie uchronique. La partie anticipation est donc sensément, signée Adolph Hitler et est un récit post-apocalyptique mettant en scène une Humanité qui, suite à un conflit nucléaire majeur, est réduite à la portion congrue, la contamination du patrimoine génétique humain par les radiations ayant conduit la majeure partie de la population à muter.
Et là, les parallèles avec notre Histoire deviennent évident. Le roman d'Hitler met bien évidemment l'accent sur la nécessité de retrouver une pureté raciale en éliminant les mutants, au premier rang desquels ils placent les Doms, des mutants dotés de pouvoirs psychiques qui souhaitent asservir l'ensemble de la population mondiale par le seul pouvoir de leur volonté. On reconnaît bien sûr en ces Doms (pour Dominateurs) à la fois les Juifs, et les communistes, leur pays se trouvant à l'Est d'une Allemagne fantasmée.
Le récit est donc, à peu de choses près, et le tout replacé dans un contexte mêlant allègrement Fantasy et SF, calqué sur la montée au pouvoir du parti Nazi (ici parti du Svastika) et l'application rigoureux de son programme de pureté raciale. La différence fondamentale étant qu'ici, les Purhommes, comme ils se nomment eux-mêmes, gagnent à la fin (of course) et établissent une race pure et conquérante.
Le roman d'Hitler (et par extension de Spinrad) n'est donc guère enthousiasmant car, outre le fond nauséabond puisqu'en transparence on discerne peu ou prou le monde idéal souhaité par le véritable Adolf Hitler, l'écriture est quelconque, bourré de répétitions lourdingues, d'emphase grotesque et de facilités narratives.
Du coup, on s'interroge. Qu'est-il arrivé à Norman Spinrad, que l'on a connu plus inspiré ?
Et bien il est là pourtant ! Et il se rappelle à notre bon souvenir dans la postface du roman qui, jusqu'au bout est présenté comme une édition commenté du Seigneur du Svastika. En effet, cette postface se présente comme une courte relecture critique du roman à la lumière des événements survenus dans ce monde uchronique où Hitler n'est jamais devenu dictateur de l'Allemagne. Et c'est là qu'il se cache, le brillant Spinrad dans cette quinzaine de pages de postface qui à elles seules justifient la lecture de ce livre.
Car c'est dans ces quelques pages qu'ils délivrent tout à la fois une vision fort pessimiste de son monde uchronique, mais aussi du nôtre. En pointant du doigt l'absurdité du roman d'Hitler où un homme seul réussit par son seul charisme à galvaniser des masses et à les fanatiser (ce qui, bien sûr n'arriverait jamais dans la réalité n'est-ce pas ?), c'est aussi notre monde qu'il interpelle.
Et quand il met en garde les lecteurs de ce monde uchronique sur les dangers qu'il y a à se laisser tenter par le gouvernement d'un leader fort en temps de crise, dans l'espoir qu'une action fanatique puisse mener à un monde meilleur, c'est bien à nous, lecteurs, qu'ils s'adressent. Rappelons que ce roman est sorti aux USA en 1972, en pleine guerre froide, et à un moment où la tentation de recourir à un conflit armé total contre l'URSS existait.
En résumé, un roman médiocre d'Adolf Hitler, mais un bon roman de Norman Spinrad, qui réussit à être brillant en seulement 20 pages !