Ce qui est formidable avec ce livre, c'est la manière presque organique dont Didier Eribon lie destin individuel et destin collectif, réalisant le grand rêve de la sociologie de comprendre le lien, l'intrication même qui existe entre les deux... et cela sans pour autant réduire son expérience personnelle à la simple réalisation d'une dynamique sociale : justement, Eribon est une de ces figures qui échappe à la prédétermination, et il s'interroge d'ailleurs longuement sur les raisons qui font que, et ne propose une véritable réponse à cette question qu'en fin d'ouvrage.


Retour à Reims, c'est en effet un étrange ouvrage : à mi-chemin entre essai sociologique et biographie, Didier Eribon y raconte comment il renoue avec sa mère après la mort de son père. Lui qui avait rompu plus ou moins volontairement tout contact avec son milieu d'origine réalise en effet à quel point il s'est éloigné, jusque dans ses propres ouvrages, de toute allusion à cet univers. Fruit d'identités multiples, homosexuel de parents ouvriers qui s'est passionné pour les milieux intellectuels, son vécu apparait finalement comme une série de paradoxes et de contradiction sur lesquels il revient largement tout au long du livre.


Il est assez difficile de décrire la densité de ce livre, et la fluidité de cette écriture moitié autobiographique, moitié essayiste. L'auteur y explore avant tout la constitution de son identité, qui s'est construite en rejet de sa famille et autour de sa propre érudition ainsi que son homosexualité, mais il y brasse de nombreux autres thèmes : la transition idéologique de sa famille de l'extrême-gauche à l'extrême-droite (et donc la question de la chute de la gauche française), l'histoire de sa famille, son rapport aux études... Ce qui est assez étonnant, c'est que même en ayant une histoire personnelle différente, il semble que l'identification soit très forte chez les lecteurs du livre (ce fut d'ailleurs mon cas). Eribon est donc parvenu à saisir de manière très vive cette période qui couvre la seconde moitié du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui, ses enjeux, ses erreurs, ses détresses.


Un livre très éclairant sur bien des thèmes, qui est en plus très accessible sans pour autant tomber dans la vulgarisation simpliste.

Antevre
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le 24 mai 2018

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