Si un joueur ferme les yeux, le jeu existe-t-il toujours ?

JAMAIS ! Je n'ai jamais compris l'intérêt des novélisations. Excusez-moi mais... vous regardez un film et mettons que vous l'appréciez. A partir de quel moment vous dites-vous: "Ça ferait un super roman !" ? Le film vous a déjà imposé son imaginaire visuel, son rythme, son identité sonore. A quoi rimerait un retour à la subtilité descriptive ? Aux non-dits, à l'exploration souterraine d'un univers qui s'est déjà mis à poil devant vous ?

Mais il y a pire: la novélisation d'un jeu vidéo ! Alors là, il fallait y penser. Vous supprimez toute interactivité d'une histoire élaborée autour d'une structure ludique et vous vous dites qu'il ne va pas y avoir comme... un manque ? Une aporie fondamentale ?

Et puis, un jour, en jouant à Assassin's Creed II (ACII), j'ai compris quel pouvait être l'intérêt potentiel de revivre son histoire sous la forme d'un roman: recevoir le scénario d'une façon acceptable.

Je plaisante à peine. Les péripéties de cet épisode, sans me captiver, avaient suffisamment retenu mon attention à l'époque pour que je me sente vraiment immergé dans ce monde historio-fantasmé. J'avais même appris des trucs au passage, en jouant à un jeu, vous vous rendez compte (la conjuration des Pazzi, tout ça...) ? Pas le temps de s'ennuyer: de complots en contre-complots, de retournements de situations en découvertes improbables, ACII est un tourbillon narratif qui fleure bon l'envolée picaresque d'un Alexandre Dumas.

Et pourtant, même si l'histoire globale était on ne peut plus simple, expliquer avec précision le déroulé des évènements et la transition logique qui les liait était pour moi une tâche herculéenne. Sans doute, justement, à cause du gameplay et de mon rythme de jeu, forcément fractionné, qui ne me permettaient pas d'en saisir toute la fluidité ?

Ce roman m'aura au moins confirmé qu'il n'en est rien. Enfin condensée, délivrée de toutes ces errances toiturophiles d'une partie habituelle, cette aventure à présent romancée, et sobrement renommée Renaissance, a pour ambition de faire oublier qu'elle fut l'épouse d'un jeu, et elle y parvient parfois: le parkour est utilisé avec parcimonie, les quêtes secondaires sont évacuées d'un geste nonchalant de la main et les événements sont enrichis de précisions qui manquaient ponctuellement à la crédibilité du jeu. Est-ce que tout ceci fait donc enfin un bon roman ? Non.

Dès les premières pages, on sent que l'auteur n'est pas un immonde tâcheron et qu'il a un style à exprimer. Bien vite cependant, sans doute muselé par l'ampleur narrative de l'adaptation, il se contente d'enchainer les missions, d'enfiler les assassinats comme des perles noires sur un fil de logique de plus en plus ténu. Bowden tente à plusieurs reprises de faire exister Ezio au-delà de son statut d'avatar. Le bougre a plus de consistance que dans le jeu, il doute, il aime, il s'épuise. Mais déjà, un autre Pazzi à éliminer, déjà une autre page du Codex à dénicher. Renaissance n'est qu'une gigantesque course en avant qui oublie trop souvent de se retourner pour prendre le temps de se raconter.

Parvenu au milieu du roman, et après un début plutôt enthousiasmant, j'en avais déjà assez de toutes ces cases cochées, de cet enchainement mécanique et de plus en plus désincarné. Pire que tout: ce qui représente l'intérêt principal de la saga à mes yeux, soit la reconstitution historique, est pour ainsi dire totalement absente du roman. A peine si les bâtiments les plus emblématiques ont droit à deux lignes de descriptions impatientes. Si l'on n'a pas joué au jeu, on ne sait jamais où Ezio se trouve, ce qui est sans doute le plus grand échec de cette adaptation.

Quelques chapitres pourtant, ceux se déroulant pendant la traque de Savonarola, esquissent ce qu'aurait pu être ce roman: Bowden présente un autre point de vue que celui du jeu, plus romancé (ça tombe bien !), plus complet, plus crédible. Il se passe enfin quelque chose ! L'auteur tente une percée plus personnelle qui fait enfin vivre son œuvre juste avant, hélas !, de retomber dans la platitude d'un duel de boss final.

Renaissance est décidément une novélisation trop fidèle qui échoue paradoxalement à retranscrire l'ambiance du jeu d'origine, la faute à une incurie descriptive et à une trop grande soumission à l'action. Incapable d'exister pleinement pour soi-même, ce roman ne satisfera pas même le joueur en quête d'un point de vue différent ou d'un surplus d'informations. Un échec, donc, même si on évite largement l'indigence artistique à laquelle on pouvait s'attendre de la part d'un produit si commercial.

Amrit
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le 15 juin 2023

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