Récitatif par mavhoc

Comme souvent avant de présenter un livre, je crois qu’il est bon de présenter ma découverte du livre et de son auteur. Ici, cela ira vite. Récitatif est la première œuvre de Toni Morrison que je lis. Je ne savais pas, avant de le lire que c’était également l’une de ses rares nouvelles et j’ignorais à peu près tout d’elle. Ma mère a décidé de m’offrir cette nouvelle à Noël. Elle voulait à tout prix que je découvre cette femme que je ne connaissais que de nom et sachant le peu de temps que j’ai pour ajouter de nouvelles lectures dans ma Pile à Lire, elle a eu la délicatesse de ne me donner à lire qu’une cinquantaine de pages.

Mais quelles pages !

Récitatif est la preuve que Toni Morrison est une grande autrice. Se jouant de son lecteur, elle présente Twyla et Roberta, deux petites filles de huit ans qui sont dans un foyer pour orphelines alors que toute deux ont encore une famille mais incapable de les élever normalement. La première a une mère danseuse, la seconde une mère malade. On est dans les années 50, il est encore trop tôt pour être une mère célibataire stable dans ses conditions.

On assiste à la vie dans ce foyer pour les deux petites filles. Leur début d’amitié, leurs peurs face aux grandes, leurs rapports avec leur maman et puis une certaine Maggie, femme servile, muette qui travaille dans ce foyer St-Bonny.

Puis ellipse. Twyla est serveuse dans un café. Elle retrouve par hasard Roberta qui est branchée dans le milieu du rock et traite avec mépris Twyla.

Quelques années plus tard, elles se retrouvent en faisant leurs courses. Tout de suite l’amitié revient. Elles échangent pendant des dizaines de minutes.

Puis cette fois on se perd de vue jusqu’à une manifestation les opposants l’une l’autre pendant quelques jours.

Enfin elles se retrouvent par hasard dans un café pour échanger quelques paroles.

On sait que l’une est blanche, l’autre noire. Mais on ignore tout de l’attribution.

C’est ça le premier génie de Morrison. Nous forcer à nous interroger. Il faut un temps pour se questionner, puis on semble trouver la réponse, mais on se rend compte que rien n’est solide. C’est un récit sur la caractérisation que l’on donne aux personnes à partir de premiers éléments attribués.

Le second point est que Toni Morrison cherche en réalité à produire une expérience de remise en cause. Le but est bien de ne jamais avoir de réponse et d’assumer cela. Mais une non-réponse qui vise ici quelque chose de fondamental puisqu’il est déterminant dans le récit que l’une soit noire et l’autre blanche.

L’autre point fondamental est le rapport à la mémoire et la capacité de s’interroger sur ce que l’on a fait de bien ou de mal.

Maggie, personnage oubliable dans un premier temps incarne le besoin pour la société américaine de s’interroger sur ses propres éléments fondamentaux. On pourrait aller plus loin et dire que si Twyla et Roberta sont noire et blanche, dans un ordre que l’on ignore, Maggie peut incarner les amérindiens (la peau couleur sable?) dans le sens où cela renvoie, derrière les crimes racistes au génocide premier des Etats-Unis.

Toni Morrison ici ne se contente pas de filer les symboles comme je tente de l’analyser mais propose bien une expérience qui est fondamentale : qu’est-ce que c’est que se construire une histoire ? Qu’est-ce que c’est que l’Histoire ? C’est bien le lieu de la discussion, de la découverte de la vérité sur laquelle on s’est construit tout en ignorant que c’était cela, la vérité. C’est la découverte qui nous peine, qui nous traumatise, mais qui doit être faite.

Récitatif est tout cela à la fois : une expérience de lecture, une réflexion sur les minorités, sur la caractérisation, sur l’essentialisation, sur l’évolution des droits, sur la mixité sociale, sur l’Histoire et sur le rôle de l’enquête de soi dans l’Histoire. Bref, un petit bijou qui demande des lectures minutieuses pour être pleinement apprécié.