Plus encore que le tome précédent, Reaper’s Gale constitue une convergence. La guerre entre l’Empire de Malazan et l’Empire de Lether, cette dernière conquise deux tomes plus tôt par Rhulad Sengar, représentant des Tiste Edur, armé d’une épée le rendant immortel. Les enjeux atteignent leur paroxysme : les Malazéens avait déjà rencontré de la résistance, aussi récemment que dans leur sixième épopée « The Bonehunters », dont ils sont ressortis affaiblis.


Lorsque la tension est à son comble, l’important est de savoir suivre ce qu’il s’y déroule. Or Steven Erikson nous immerge dans des rouages aux multiples perspectives. Il n’est pas juste question de deux forces entrant dans une superbe collision, même si les batailles s’avèrent épiques. Car le royaume de Lether, « récemment conquis », fait également face à des tensions internes. Rhulad Sengar, son nouvel empereur, se divertit en proposant des duels à mort contre divers opposants dans une arène, or tant le Jaghut Icarium que le Toblakai Karsa Orlong, ayant déjà un riche parcours dans les précédentes itérations, sont bien décidés à en découdre. Si ce n’était pas suffisant, non content de recevoir de l’opposition au sein de sa propre famille, Rhulad voit l’émergence d’un groupuscule rebelle venu d’une ville de l’empire, Awl, mené par un charismatique meneur masqué dont le nom « Redmask » pourrait évoquer d’autres histoires. Il est notamment accompagné de « Toc the Younger », absent depuis plusieurs tomes, marquant ici son grand retour. C’est sans mentionner Tehold Beddict, aidé par la Guilde des « Attrapeurs de Rats » dirigée par cette chère Rucket, voient dans ces perturbations de possibles intérêts financiers…
Par ce grossier résumé, je salue la façon dont l’auteur a amené cette guerre. Puisque Malazan rencontrait déjà des tensions en son sein, Lether l’a aussi, ce qui les place sur une certaine égalité. Tant les fronts sont multipliés que les nuances, où chacun tente de tirer son épingle du jeu, où des complots se profilent, où la morale semble floue, où le vainqueur n’est pas forcément le bon.
Multiplier les intrigues et les personnages est un exercice auquel l’auteur est habitué. S’il ajoute quelques figures parmi cette pléthore déjà connue, le plaisir consiste surtout à retrouver des individus avec lesquels nous sommes familiers, et les voir entreprendre des parcours détonants. Une fois encore, Steven Erikson n’hésite pas à faire mourir une bonne partie de ses personnages. Pour ce tome, en revanche, j’exprime quelques réserves subjectives. Car là où certains trépas sont portés par un symbolisme et une écriture marquante, d’autres tombent dans un enchaînement dans lesquels ils en deviennent presque oubliables. De surcroît, dans un univers où pullulent divinités et magie, il n’est pas rare d’en voir certains ressuscités, hélas ce n’était pas forcément ceux que j’aurais voulu…
Nous l’aurons donc compris, ces innombrables personnages nous aident à voir ce monde chaotique à travers leur point de vue. Malgré quelques tertiaires oubliables, l’auteur a réussi à leur donner des caractéristiques uniques, qui les rendent d’office attachants. Je souligne notamment, et une fois de plus, la manière dont les soldats (surtout les Malazéens) sont humanisés. Bottle, Smiles, Fiddler et Beak pourraient se méprendre à une succession lassante de noms, pourtant ils sont tous intéressants. Je trouve ça aussi intéressant que la plupart des meneurs militaires sont des femmes : l’Adjunct Tavore dont le rôle ne cesse d’être présent, Masan Gilani au caractère caustique, la sergente Hellian dont l’alcoolisme est indéniablement rattaché à son côté humoristique, l’inébranlable capitaine Faradan Sort, et du côté de Lether, les « commandantes » Yan Tovis et Bivatt. Parmi les autres (très) nombreux personnages, j’énumère aussi mon intérêt pour Samar Dev, une magicienne et « ingénieure » (assez rare en fantasy !) qui accompagne Karsa Orlong, Silchas Ruin par sa place unique au sein de ce monde, Udinaas, ancien esclave dépassé par les événements, sans oublier Trull et Fear Sengar, frères de l’empereur, et opposés à lui dans leur propre quête…

Reaper’s Gale prouve que Malazan n’a rien à pâlir par rapport aux autres sagas fantasy populaire. Mieux encore : quitte à en « décourager » certains potentiels lecteurs, Steven Erikson n’hésite pas à entremêler noms compliqués, intrigue complexe, divinités, magie puissante, de nombreuses races… Pour un mélange audacieux et immersif auquel j’adhère complètement. Peut-être même qu’elle pourrait devenir ma saga fantasy favorite… Réponse dans trois tomes, quand je l’aurai achevée !

Saidor
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le 12 sept. 2020

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