Pnine
7.3
Pnine

livre de Vladimir Nabokov (1957)

Charlie Chaplinovitch Pnin loin du pays des soviets...

"Pnin" est le deuxième tome de la trilogie américaine de Nabokov, commencée avec "Lolita" et achevée avec "Feu pâle". J'ai beaucoup aimé ce livre, comme je m'y attendais. Nabokov est un écrivain hors normes et quoiqu'il ait pu raconter ici m'aurait sans doute enchanté. Il faut dire que la grande force de ce livre tient à son écriture élégante et ironique.


Il est clair pourtant que le sujet est mince, très mince : on suit quelques années de la vie pas très aventureuse d'un doux professeur Tournesol russe, Pnin, exilé sur le sol américain, dans un petit job sans envergure, à la fin des années 50. Nabokov s'amuse même à nous rendre le sujet caricatural quand il passe des pages à décrire des non-événements comme l’emménagement dans une nouvelle chambre , un cours difficile, une visite dans une bibliothèque de la fac, un dîner avec le fils d'une amie etc...
Cela pourrait être mortel mais c'est sans compter sur l'extraordinaire prose qu'il nous déroule et qui rend l'accumulation de ces petits détails, de ces milliers de petites digressions complètement absorbantes et parfois hilarantes. Qu'il achète un ballon de foot, ou qu'il s'énerve sur un livre ou rate son bus, Pnin capte constamment notre attention grâce aux descriptions hors pair d'un narrateur omniscient qui semble flotter à la surface de l'histoire et ne se matérialisera dans le roman qu'à la fin du livre.


Nabokov profite du ton léger et flânant de son livre pour y faire maints commentaires sur le monde américain. J'ai bien aimé sa façon de s'en prendre clairement à Charlie Chaplin, lui qui invente en Pnin un personnage qui nous rappelle Max Linder... Il charge également férocement le monde de la psychanalyse et fait une satyre très amusante des pratiques et des tests ridicules de la psychanalyse freudienne et qu'il présente comme une escroquerie.


Le ton léger du livre est contredit à maintes reprises par de soudaines plongées dans les souvenirs, qui vous arrache à cette morne suburbia américaine (superbement capturée par Nabokov , avec ses rues, ses diners, ses voitures, dans ses moindres détails) pour vous entraîner sur les rives du lac Dagoda , dans les rues de Saint- Petersbourg, ou dans un café parisien. Car Pnin est un émigré russe, échappé de justesse à la Révolution russe et qui flotte au sein d'une communauté russophone déracinée composée d'intellectuels et d'artistes. La littérature russe s'invite donc au sein de la banalité des choses, avec en plus une nostalgie, une douleur, qui frappe soudain autant le héros du roman que nous autres lecteurs. Il y a du Proust je trouve dans ce petit chef d'oeuvre...


Nabokov nous propose une comédie certes, mais peu à peu son livre prend une épaisseur qui surprend et fascine, et c'est la bêtise humaine ,illustrée dans les camps de concentrations et le massacre de vies humaines belles et fragiles (un très beau moment avec le souvenir d'une femme qu' a connue Pnin) qui entre dans le champ de notre lecture et transforme le livre en une réflexion assez amère sur la perte des êtres chers, la fin de l'innocence, la perte de son pays, et la dilution de son être dans un quotidien étranger. Pnin et ses anecdotes sont attachantes, Pnin et ses souvenirs sont réellement touchants.


Le livre s'achèvera sur une déconstruction très rusée du récit, en se caricaturant lui-même (un personnage se met à re-raconter le livre) et en faisant apparaître au grand jour le narrateur et sa créature dans une saisissante image d'un personnage qui littéralement fuit le roman et son auteur. C'est superbe et saisissant.


Si vous n'avez pas encore lu "Lolita", ne tardez plus à découvrir ce chef d'oeuvre, et quand vous aurez aimé Lolita, vous adorerez Pnin. Je recommanderais de ne pas le lire d'une traite, car chaque chapitre est plutôt à savourer, comme une chronique malicieuse et élégante.

nostromo
8
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le 28 mai 2014

Modifiée

le 28 mai 2014

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nostromo

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