Le parti pris de cette Petite Philosophie du zombie est clair, et en vaut bien un autre : « faire du zombie un Virgile, un guide pour regarder notre société occidentale » (p. 13). Mais s’il y est bien question de zombies et de philosophie, c’est sans véritable liant : et que je te plaque Warburg sur Romero, Freud sur 28 jours plus tard ou Kristeva sur tout – à moins que ce soit l’inverse…
Je n’ai rien contre le fait de convoquer des concepts philosophiques pour étudier des objets de culture populaire : certaines références en sciences humaines sont nées de cette ambition. Encore faut-il que l’analyse apporte quelque chose. Par exemple, l’auteur explique ce que sait n’importe quel spectateur d’un épisode de Walking Dead : « le zombie, s’il nous ressemble, ne vit pourtant pas – lui non plus – dans le même monde que nous ; ses yeux ne voient pas le même univers, ni ne réagissent aux mêmes stimuli. » (p. 57). Très bien. Impossible de ne pas acquiescer. Mais il paraît que pour comprendre cela, « La clef interprétative que nous offre von Uexküll est précieuse. » Ah bon ? (Pour ceux qui comme moi, l’ignoraient, Uexküll était biologiste et philosophe.) Un certain nombre de théories posées ici par l’auteur sont à l’avenant : incontestables, mais à la portée de n’importe quel lecteur ou spectateur qui réfléchit un minimum à ce qu’il lit et regarde. (Allez, un autre exemple : « lorsque l’œil le regarde avec plus d’attention, le zombie révèle sa véritable nature : il est la mort personnifiée. Une mort proliférante, contagieuse comme la peste. », p. 81. Parce que lorsqu’on le regardait avec moins d’attention, on y voyait autre chose ?)
Tout n’est certes pas à jeter dans l’ouvrage. Sur l’évolution de la figure du zombie depuis le revenant du folklore haïtien jusqu’à la « nouvelle espèce » (p. 28) de Romero, par exemple, c’est convaincant. Ou l’idée selon laquelle « Le zombie de l’inquiétante étrangeté décline un paradigme central dans l’Occident contemporain : celui de l’individu frappé par un drame. » (p. 59). Il y a aussi quelques rappels de bon aloi, par exemple sur la notion kantienne de sublime, ou sur la catharsis. Et des questions intéressantes : « Peut-on parler des ruines d’une ville intacte ? » (p. 115). Mais cela reste trop rare
Ajoutons un style universitaire-chiant et une syntaxe parfois douteuse : « Jentsch, dont Freud prendra […] ses distances » (p. 51). Ajoutons au moins un contresens conceptuel : « il y a bien sûr plus de solutions de continuité que de ruptures » (p. 32). Ajoutons encore quelques jugements lapidaires qui n’engageront que l’auteur : « Le pessimisme n’est qu’un autre mot pour l’impuissance » (p. 129). Et en cerise sur le gâteau, on apprend que The Road est « le plus célèbre des films de zombies » (p. 128) ! On comprendra que non seulement cette Petite Philosophie du zombie ne sera jamais une référence, mais que la défiance est de mise pour le lecteur.
Sur le même sujet, Invasion zombie de Dominguez Leiva est bien plus stimulant.

Alcofribas
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le 19 déc. 2016

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Alcofribas

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D'autres avis sur Petite philosophie du zombie

Petite philosophie du zombie
chessvger
3

ennuyeux

Le sujet aurait pu etre interessant mais c est vite pompeux et lourd. Le propos est plutot poussif, heureusement qu 'il n'y pas trop de pages. Le tout manque de profondeur par ailleurs.

le 4 janv. 2024

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