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Les sinistres scarifications des hommes-cactus du haut de leur pyramide

J'ai enfin achevé ce pavé aux multiples visages qu'est le long roman introductif du cycle de la Nouvelle-Crobuzon, "Perdido Street Station", écrit par cet étrange auteur au drôle de nom "China Miéville". Il va être très difficile pour moi de tenter une critique de cette oeuvre plutôt somptueuse, tant elle se trouve loin des sentiers de la fantasy habituelle (et plus globalement de l'imaginaire habituel) et difficile à saisir en un article.
Une chose est certaine, et je crois que quiconque aura lu ces longues pages décadentes sera d'accord: ce bouquin grouille d'idées, suinte d'imagination et propose au lecteur des choses qu'il n'aurait jamais pu imaginer même en se creusant la tête des années durant. China Miéville nous fait pénétrer dans cette ville boursoufflée, si diverse et pourtant si cohérente, qu'est Nouvelle-Crobuzon. Il est évident que cette ville est au coeur du propos de Miéville et je rejoindrai les critiques que j'ai lues sur SensCritique et ailleurs: elle est la véritable héroïne du livre et est disséquée au fil des chapitres dans de longues descriptions bien caractéristiques de Miéville. Ce dernier ne va pas hésiter à décrire dans le menu détail des tonnes de quartiers de la ville, allant parfois jusqu'à l'excès et lassant le lecteur. Ce n'est pourtant que secondaire puisque bien souvent, la magie opère et nous fait découvrir des rues et des personnages tourmentés à l'extrême, difficilement oubliables. Il faut admettre que dans l'édition française dichotomisée, le second tome est clairement plus tourné vers l'action et l'intrigue centrale de cette vaste épopée, et délaisse quelque peu les explications minutieuses des us et coutumes des différents peuples de Néo-Crobuzon. Je dois également noter en passant le travail extrêmement rigoureux et délectable de la traductrice Nathalie Mège, qui rend honneur à l'écriture extrêmement travaillée de China Miéville. Cet auteur m'a clairement foutu une grande claque dans la gueule avec son texte taillé au cordeau, sublime dans la forme, renfermant un fond pourri par des idées d'une cruauté insondable. Pour conclure ce paragraphe, je soulignerai donc que les descriptions de Nouvelle-Crobuzon, à la base de tout le roman, lassent parfois, mais bien souvent, le lecteur reste ébahi devant tant d'abondance.
Parlons désormais de l'univers en lui-même, plus que de la manière dont il est décrit. Je crois que cela faisait longtemps que je n'avais pas lu quelque chose d'aussi torturé. Le monde que Miéville présente ici est criant de cohérence. Tout est très bien huilé, et rien ne parvint à rompre le charme au cours de la lecture. Il apparait extrêmement clair que Miéville a rasé tout ce que la fantasy a pu un jour fournir et a créé un monde tapant dans les recoins du concevable, mettant en scène des assemblages de formes et d'idées sorties du néant. Mais putain, qu'est-ce que c'est sombre! J'aurais bien du mal à vous faire comprendre ce côté "torturé" de Miéville, il faut véritablement le lire pour le croire. Certaines idées, certains concepts, pour ne prendre que les "Recréés" comme exemple sont à couper le souffle de noirceur, et oui, je le répète, de cruauté. Nouvelle-Crobuzon est une métropole sans pitié, rasant tout sur son passage, de la pire des manières. Il n'y a rien dans les ténèbres qui ne puisse atteindre cette maudite ville, où les bordels inter-raciaux côtoient les salles de torture à tous les coins de rue. Il faut simplement en être conscient, au sens où "Perdido Street Station", pour au moins cette raison, ne peut être offert au petit-cousin à la première occasion.
Les personnages sont assez attachant, notamment Isaac qui parviendra à gagner la sympathie du lecteur avec ses coups de tête et sa passion pour la Khepri Lin. Sa relation avec Yagharek est bien évidemment très intéressante et se développe particulièrement dans le second tome. L'intrigue est aussi très prenante, même si elle commence seulement à se mettre en place à la fin du premier tome, ce qui précède ce passage étant de la toile de fond. Cela soulève un problème assez fort pour en parler ici, dans la continuité de celui que j'ai déjà évoqué au début de la critique: il est assez ardu d'adhérer à "Perdido Street Station" pendant une bonne partie du premier tome. La complexité du monde de Miéville, sa noirceur surprenante et la lenteur de la mise en place de l'intrigue sauront décourager plus d'un lecteur, à juste titre. Si toutes ces descriptions semblent justifiées par la suite, facilitant la compréhension d'un monde qu'il aurait été difficile d'établir parallèlement à une intrigue effrénée; cela parait extrêmement rude. Du moins au départ. On s'y habitue assez vite.
Je soulignerai simplement que certaines scènes sont juste fantastiques. Tout ce qui se passe dans la Serre et la gare de Perdido, c'est juste monstrueux, le summum du cool. De même, je vais saluer LE personnage, si on peut l'appeler comme ça: la Fileuse, déesse dangereuse, incompréhensible, onirique, dansant sur plusieurs plans de réalité. L'imagination de Miéville était ici à son apogée.
Notons aussi l'aisance avec laquelle Miéville brouille les sous-genres de l'imaginaire pour donner ce patchwork qu'est "Perdido Street Station". La fantasy est bien sûr présente, mais le fantastique, et au-dessous l'horreur (transcrite sous ses 3 niveaux d'expressions, si l'on prend la classification KING) sont également omniprésents.
Je vais simplement donner un avis sur la fin, ce qui peut SPOILER du moins sur le ressenti, donc détourner les yeux, vous qui n'avez pas lu cette drôle d'épopée.
La fin m'a donc laisse dans un état désolé face à une cruauté aussi crue. On peut douter d'une "réelle cruauté", tout n'est peut-être pas aussi sombre qu'il ne semble d'un premier abord, mais tout de même... cette impression qu'une gorgone s'en est prise à moi ne m'a pas quitté, ce qui n'est pas vraiment grave en soi (c'était certainement mieux qu'une fin joyeuse, pour le bien de l'histoire...).
"Perdido Street Station" est donc une promesse de nouvelles contrées, d'un nouvel imaginaire. Un truc qui va vous chambouler, pour sûr, et vous rebuter un peu, également. C'est le prix à payer pour accepter ce monde en marge de tout ce qui a pu traverser la tête des écrivains de l'imaginaire depuis bien longtemps. Vous ne le regretterez pas, car ce voyage au coeur de Nouvelle-Crobuzon vaut assurément le coup, même si, je dois l'avouer, avoir fini ce bout du périple est une satisfaction, du fait de cette lourdeur descriptive caractéristique de Miéville, et de l'impression claustrophobique que dégage ce livre sinueux. Cela reste un grand coup de coeur, et la réputation de ces ouvrages n'est pas déméritée!
Wazlib
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le 11 août 2014

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Wazlib

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