Pindare, le plus illustre des poètes lyriques grecs, est aussi le plus difficile à traduire. Triturant volontiers les règles de sa langue pour offrir à son auditeur (ou lecteur) un élégant désordre, Pindare est un poète très pieux, voire mystique, habitué au charabia de l'oracle de Delphes où il était tenu en grande estime. Pourtant, ses poèmes étant réservés à l'écoute d'un public aussi bien aristocratique que populaire (lors de défilés dans la ville), Pindare n'était pas complexe au point d'être incompréhensible.


De cette évidence, Jean-Paul Savignac ne veut rien entendre et offre ici une traduction presque mot-à-mot du grec ancien... au point de torturer la langue française, qui est loin d'être aussi flexible que la langue de Zeus ! Des ajustements étaient nécessaires pour retrouver en français la fraicheur de Pindare. Au lieu de ça, nous sommes bombardés de mots-composés lourdingues, de rejets de verbe, de mélanges syntaxiques aussi audacieux qu'obscurs, et on n'y comprend plus grand chose. Sous prétexte de fidélité, voilà Pindare rendu cent fois plus obscure qu'il ne l'était vraiment.


L'effort de concentration est extrême (et les relectures nombreuses) mais ne se voit pas toujours récompensé puisque certains passages ont définitivement brisé toutes les règles de logique du multivers. Constat d'autant plus amer que les poésies de Pindare sont particulièrement narratives... Aussi, au bout d'un moment l'esprit se lasse, puis sature. A côté de cette traduction, mes lectures du Veda et de la Bible étaient d'une fluidité extraordinaire !


"Il faut qu'encor, si sur la route
de ses pères un âge mène-droit
l'a donné comme atour à la grande Athânes,
maintes fois des Isthmiades
il cueille la superbe chamarre et qu'au Pythiens il vainque,
le fils de Timonoos ; il est juste
que non loin des montagnardes Péléïades
Oarion passe."


Voilà un exemple de passage compréhensible, (je n'ai pas la patience de retrouver des passages plus complexes) je vous laisse savourer ce genre de chose sur des centaines de pages...


Heureusement, parfois, des petites perles surgissent tout de même.


"Puisses-tu devenir qui tu es par savoir !"


Sentence connue aussi sous la forme:


"Deviens-qui tu es, quand tu l'auras appris.",


précurseur de la phrase de Nietzsche


"Deviens celui que tu es",


même si le sens en est différent (l'être étant à découvrir par la tradition pour le premier, par l'émancipation pour le second).


Pindare, par ses rappels constants à l'humilité humaine découlant de notre mortalité est aussi le précurseur de certains monologues shakespeariens. Ainsi, lorsqu'il chante:


"Ephémères ! Être quelqu'un ? N'être personne ? Rêve d'une ombre est l'homme.",


on ne peut s'empêcher d'entendre la plus célèbre tirade d'Hamlet. Excepté le fait que Pindare est un poète de la joie et de la gloire et qu'il ne se terre donc jamais dans le pessimisme. Il ajoute ainsi:


"Mais quand un rayon dieudonné survient, un vif éclat plane sur lui, et un âge enchanté."


Cet optimisme a fait de lui le plus célèbre auteur d'odes triomphales (ou "épinicies"), ces poèmes qui célébraient l'immortelle prouesse des vainqueurs des Jeux panhelléniques. De nombreux passages mythologiques (les plus anciens avec Homère et Hésiode) émaillaient ces textes et évitaient ainsi toute lassitude. Hélas, je ne vais pas me répéter, mais ces passages narratifs ne sont évidemment pas toujours des plus lisibles, même si certains d'entre eux échappent miraculeusement au chaos de cette traduction.


Je ne peux conseiller cette édition qu'aux spécialistes de la langue grecque ancienne, puisque le texte est bilingue. Une traduction aussi mot-à-mot devient dans ce cas une aide inestimable à la compréhension. Pour les autres, oubliez l'intégrale et jetez plutôt un oeil sur cette traduction partielle, mais gratuite, qui a le mérite de rendre Pindare à lui-même...


http://remacle.org/bloodwolf/poetes/falc/pindare/Pindare.htm

Amrit
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le 10 mars 2017

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