C'est l'histoire d'un gars, survivant de la Shoah qui se retrouve devant le Créateur en personne. Pour détendre l'atmosphère, notre Juif tout juste décédé lui raconte une histoire drôle sur Auschwitz. "C'est pas drôle", lui répond Dieu. "Je sais, reconnait-il alors, il faut l'avoir vécu pour comprendre..."

Voilà le genre de blagues que Jerry Stahl n'arrête pas de balancer tout au long de cet infernal NEIN, NEIN, NEIN ! émaillé de citations de Sigmund Freud, Hubert Selby, des trois Stooges, de Lou Reed, de Charlie Chaplin et de plein d'autres encore. Quelle mouche a donc piqué l'écrivain pour qu'il s'inscrive sur un coup de tête à ce "Auschwitz Tour" comme il le nomme, 15 jours à parcourir l'Allemagne et la Pologne afin de visiter les hauts lieux du souvenir de la Solution Finale ?

Avec son groupe de touristes américains, anglais et australiens, Stahl visite Auschwitz, Buchenwald, Nüremberg et Dachau, faisant de drôles de rencontres, se prenant quelques secousses au passage. C'est que notre homme, Juif américain, quinqua terrassé par deux divorces successifs, une carrière d'écrivain un peu brinquebalante ainsi qu'un lourd passé de toxico derrière lui, se traîne une dépression bien comme il faut.

A Buchenwald, en plus d'égrainer dans son imagination ô combien fertile les images sordides que ce lieu lui inspire, il se fracasse le crâne contre une porte vitrée qu'il n'avait pas vue, avant de se prendre d'une folle envie de se précipiter sur les barbelés électrifiés qui entourent le camp (ce qui l'arrêtera, c'est la conviction profonde que le courant ne passe plus là-dedans depuis des lustres).

Ses compagnons de voyage organisé ne sont pas mal non plus, yankees en pantacourts et tee-shirts avec inscrits dessus des trucs comme "Il est toujours Apéro-moins-le-quart quelque part dans le Monde", fringués comme s'ils allaient se payer un tour au Space Mountain. Une horde de touristes phillipines se ruent sur lui pour un selfie, l'ayant confondu avec un acteur célèbre vu dans la série SEINFELD.

Quand il se ballade dans les rues de Munich en plein Oktoberfest, la devanture d'une charcuterie enguirlandée de kilomètres de saucisses et d'une carcasse de cochon pendue la tête en bas lui inspire de drôles d'images. Ces réflexions sur la Shoah fusent dans tous les sens. Il pense à sa mère qui fumait clope sur clope lorsqu'elle conduisait en interdisant aux gosses d'ouvrir les fenêtres. A son père, vrai loser américain, qui se suicida au gaz d'échappement enfermé dans son garage. Où que son regard se porte, les souvenirs des horreurs du passé le renvoient à ce drôle de début de XXI° siècle qu'il juge propice au Grand Retour Facho Internationale.

Sans parler de sa fixette pour Donald Trump à chaque fois que ses pensées s'attardent sur Hitler, Jerry Stahl enfile les détails de ses tribulations touristiques sur un mode "gonzo" que n'aurait pas renié Hunter S. Thompson, une de ses idoles. De la description des toilettes à Auschwitz (moins bien que celles de Buchenwald) aux modes opératoires à vomir de certains "médecins" nazis, tout y passe.

Soyons clairs: la prose de Jerry Stahl ne ravira pas tout le monde. Peu adepte des périphrases empotées et du petit doigt en l'air, le style ici est rentre-dedans, la métaphore très imagée et puisqu'il s'agit de détailler le sordide sous tous ses aspects, le garçon y va sans se préoccuper d'offusquer la veuve de guerre, ni l'orphelin, et encore moins le grand bourgeois WASP qui vote républicain de père en fils. D'ailleurs, Martin Luther en personne s'en prend plein le dentier quand l'auteur parle de l'antisémitisme "de base" du Saint-Patron des Protestants. D'après lui, Hitler n'eu plus qu'à recopier.

On soupçonne Jerry Stahl d'être comme Dorothy Parker, qui aurait préféré mourir plutôt que de rater un trait d'esprit. NEIN, NEIN, NEIN ! en est plein à rabord, et l'esprit comme les zygomatiques y sont mis à rude épreuve.

Déjà auteur d'un polar hilarant (A POIL EN CIVIL, avec des personnages tellement crétins qu'ils feraient passer ceux des frères Coen pour des Prix Nobel de Physique), d'une biographie romancée de Fatty Arbuckle aussi drôle que désespérante (MOI, FATTY), Jerry Stahl a également sorti une autobiographie sur ses années de perdition, PERMANENT MIDNIGHT, qui a été adapté au cinéma avec... Ben Stiller (si, si...).

Son pote Johnny Depp (voyez le genre...) lui acheté les droits d'un autre de ses bouquins, - je ne sais plus lequel -, et si vous voulez savoir pourquoi certains épisodes de TWIN PEAKS ou de la série ALF sont aussi barrés, c'est que Jerry Stahl a également collaboré à leur écriture.

Si vous vous sentez de force d'affronter le mauvais esprit de ce grand écrivain punk, allez-y foncez !

Rongemaille
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le 4 févr. 2023

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le 4 févr. 2023

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