Nana
7.4
Nana

livre de Émile Zola (1880)

La chair est triste, hélas.... Un grand roman !

Bonjour à tous,


« Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige, le faisant tourner comme des femmes, chaque mois, font tourner le lait. »


"Toute une société se ruant sur le cul..." "Un personnage complètement obscène", c'est ainsi que Zola parlait de Nana. Elle l'est! Elle est obscène, ridicule, frivole, charmante, charmeuse, lubrique, dépravée, naïve, simple. Oui Nana condense ici la cocotte du second empire, et elle remplit magnifiquement son rôle! Les hommes se ruent sur elle, dépensent leur argent pour elle, se tuent pour elle, vont en prison pour elle. Elle symbolise ce pouvoir, cette décadence de toute une société. Zola, lui met à disposition des hommes qui lui font la cour, un empereur, un amant dont elle sera folle d'amour et lui donne aussi sa meilleure amie Satin.


En 1866, Zola écrit deux articles assez virulents, prenant position contre un roman anonyme, Mémoires d'une biche russe. Selon lui, il ne présente pas réellement les moeurs de son temps. Il dira ainsi : " J'attends l'histoire vraie du demi-monde, si jamais quelqu'un ose écrire cette histoire." Cette personne, ce sera lui-même, quelques années plus tard. Il se met alors à enquêter (au grand dam de sa femme) sur ce monde particulier des courtisanes. Il veut décrire la débauche effrénée tout en la marquant au fer rouge.


C'est ainsi qu'apparaît le personnage de Nana. Fille de Gervaise et de Coupeau, elle est la figure même de la perversité. Fuyant la misère de ses parents, elle se lance sur les planches. Sans talent et sans voix, elle attire néanmoins tous les regards par sa beauté envoûtante. Elle vit ainsi de ses charmes. Elle se venge des hommes, et notamment des aristocrates, en leur révélant les infidélités de leurs femmes et en les ruinant tour à tour : Steiner, le banquier véreux, le comte de Vandeuvres, le capitaine Hugon... Elle finira par se mettre en ménage avec Fontan, un comédien mais la violence de ce dernier aura raison du couple. Nana préfèrera s'égarer dans les bras d'une de ses consoeurs, Satin. le sommet de sa réussite est atteint lorsqu'elle parvient à conquérir le comte Muffat, chambellan de l'empereur, à qui elle fera subir les humiliations les plus ignobles.


Triste figure que celle de cette femme qui assiste à la déchéance de sa société tout en voyant sa vengeance s'accomplir. On ne peut s'empêcher de faire la comparaison entre la peinture d'une courtisane et le reflet d'un monde retrouvant ses propres faiblesses en elle.


Ce neuvième tome de la fresque est encore un coup d'éclat de la part de l'écrivain. Il finit ce tome par la mort de Nana, dans une chambre sordide. La courtisane, malade et ruinée, meurt de ses frasques au moment même où on fête bruyamment dans les rues la déclaration de guerre à la Prusse. " Poème sinistre des amours du mâle" selon Zola, ce tome est une illustration flamboyante de la corruption et des vices d'une société...


Le chef de file du naturalisme pousse toujours plus loin l'expérience des êtres qu'il étudie, des scènes atroces et parfois délectables. Le livre est puissant, les scènes tournent s'envolent dans notre tête, la lecture est un vrai plaisir et Zola a recours à de nombreux parallèles pour dénoncer cette pourriture, ainsi la tache de sang d'un des frères Hugon ne s'effacera que sous les pas des nombreux hommes qui rentreront dans sa chambre, cela vous choque?! Alors plongez-vous dans le roman!


Ce qui est remarquable c'est qu'aucun des personnages n'est manichéen. Ils ont tous des côtés attachants et des facettes déplaisantes. La peinture de cette société qui tourne autour du Théâtre de l'Empire est remarquable.
Un autre aspect de ce chef d’œuvre à souligner est l'humour !
Comme d'habitude avec Zola, il y a également de grands morceaux de bravoure myriques.
La fin est très marquante notamment pour ce qu'elle nous montre de la différence de caractère entre les hommes et les femmes (et de la lâcheté des hommes).


La bourgeoisie française bouleversée et menée par le bout du nez par une seule femme, des personnages trop maniérés ridiculisés par un corps tout droit sorti de Babylone: voilà des ingrédients idéals pour créer un roman d'un grande qualité !


Ah Nana ! je revois la petite fille de l'Assommoir, traînant le sabot de la mère Boche pour jouer à l'enterrement, n'étant pas la dernière pour tremper dans le vice et faire les quatre cent coups, mettant la révolution dans la rue de la Goutte-d'Or à coups de frasques et de coquetterie exacerbée.
Rodée aux hommes dès son plus jeune âge, la petite à déjà compris que pour éviter le destin catastrophique de ses parents, il va falloir mettre le paquet pour se faire entretenir.
Ici, c'est au Théâtre des Variétés que nous retrouvons notre chipie de service, incarnant La Blonde Vénus. Une façon comme une autre de démarrer une carrière pour cette fille pulpeuse qui chante comme une savate. Son argument? Apparaître sur les planches presque dévêtue, ce qui annonce la couleur à un public essentiellement masculin avide d'un nouveau visage à encenser. Malgré un manque évident de talent, le succès est au rendez-vous et les hommes se pressent dans l'antre de cette jeune pousse du pavé, qui en était réduite à faire des passes pour des sommes modiques afin de financer un train de vie déjà conséquent. Pour Nana vient alors le temps de faire ses armes dans la cour des grandes...


Qu'elle soit aimée ou détestée, cette Nana est étonnante. Aussi puissant que l'Assommoir, ce neuvième volume des Rougon-Macquart nous emporte dans les coulisses du monde des filles et de la débauche. Assez similaire à La Curée dans sa construction en ce qui concerne le faste, Nana se révèle aussi être plus piquant dans le déroulement des événements. Son héroïne tient son rôle haut la main et c'est avec plaisir que nous suivons cette mauvaise graine dans ses toquades de gamine des rues. A l'opposé de sa mère Gervaise, Nana se révèle être une femme de tête à la personnalité hors norme, jouant brillamment au jeu de la vie, tenant le beau Paris qui bande à ses pieds bien au chaud entre ses cuisses de Vénus grasse. Comme une tornade, Nana balaye les fortunes des hommes riches incapables de lui résister. Tous y passent, béats de s'être fait délester la bourse et les bourses par cette mante-religieuse qui brûle la chandelle par les deux bouts. Jouissif et incisif, Zola nous montre une fois de plus l'étendue de son génie à travers ce portrait de femme qui, comme une étoile filante, passe, flamboyante et brillante pour disparaître en un éclair comme elle est apparue. Si vous n'avez pas encore fait la connaissance de Nana, n'hésitez plus, elle ne vous laissera pas indifférents.


Émile Zola réemploie la même formule que dans "Son Excellence Eugène Rougon" au début du roman, à savoir, nous plonger directement dans le coeur d'activité du protagoniste principal. C'était une session à l'Assemblée Nationale pour Eugène Rougon, ici, c'est la première représentation d'une opérette sulfureuse, La Blonde Vénus, où Nana met le feu à la scène avec ses formes et ses tenues très peu couvrantes. (Au passage ceci m'inspire un petit parallèle et une menue réflexion sur la beauté et la blondeur car je viens de me faire une petite série de huit ou neuf films de Billy Wilder, avec outre le célébrissime et succulent Certains L'Aiment Chaud, qui, bien qu'excellent, fait beaucoup commerce des formes généreuses de l'actrice, un autre film, soi-disant culte, Sept Ans de Réflexion avec la fameuse scène de la robe Marilyn Monroe qui se soulève en passant au-dessus des bouches d'aération du métro, qui lui est un vrai navet, avec pour seul mérite d'avoir à son affiche une blonde Vénus... Nana/Marilyn, mort prématurée, des liens avec le pouvoir et l'argent, tiens, tiens, tiens...)
Ce sont bien évidemment les opérettes de Jacques Offenbach que l'auteur cherche à écorner, en particulier celle intitulée " La Belle Hélène ", (pastichée en " La Blonde Vénus ") qui met en scène la dépravation des dieux de l'Olympe.


Pour être totalement dans l'esprit « naturaliste », avec un réel souci documentaire, on n'en est pas pour autant transcendé et l'on a du mal à prétexter que cette entrée en scène de Zola dans Nana soit particulièrement réussie ou tonitruante. On l'a connu plus percutant et la feuille de route de son programme de construction apparaît, à mon goût, un peu trop fortement tout au long du roman.
Ce n'est qu'à partir de la moitié du livre, au chapitre VIII, que la narration retrouve quelques couleurs et Zola sa verve perdue de L'Assommoir. En effet, jusque-là, l'auteur nous endort avec de lourdes et longues descriptions de luxe et de débauches dans les hautes sphères qui font d'ailleurs double emploi avec celles déjà pesantes qui concernaient Renée dans La Curée.
Quels sont les apports vraiment significatifs de cet opus dans l'édifice de son cycle littéraire ?
1) Les rapports étroits de connivence entre le monde du spectacle et le journalisme visant à faire ou à défaire le succès d'un spectacle moyennant avantages divers en retour (déjà évoqués en détail et probablement avec plus de brio dans la deuxième partie des Illusions Perdues de Balzac).
2) La mise en plein jour de la prostitution (la classique et celle de luxe).
3) L'évocation de l'homosexualité féminine, sujet absolument tabou à l'époque de Zola et ce sur quoi il faut saluer le courage littéraire de l'auteur.
4) le poids du monde hippique dans la haute société (La situation a-t-elle changé de nos jours ? Les Rothschild ne font-il pas toujours régner la pluie et le beau temps sur le monde des courses [casaque bleue, toque jaune] ?)


A lire donc !


Sur ce, je vous laisse lire ce petit bijou, malgré des défauts d' écriture évidents. Portez vous bien. Continuez à lire. La lecture n' attend que vous.... Tcho. @+.

ClementLeroy
9
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le 22 juin 2016

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San  Bardamu

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