Mon mari
6.6
Mon mari

livre de Maud Ventura (2021)

Un amour toujours aussi passionnel après quinze ans de mariage, deux enfants étonnamment dociles, une maison de rêve dans un quartier chic, une double activité professionnelle qui semble l’épanouir : l’héroïne est une femme en apparences comblée. Semblable à un journal intime, ce livre nous permet de la suivre une semaine durant dans son quotidien de mère de famille. Un lundi très succinct plante le décor et nous donne un premier aperçu de sa routine réglée comme du papier à musique. Très rapidement – et un peu à la Don’t Worry Darling (d’Olivia Wilde) que j’ai vu assez récemment – l’autrice instille de l’étrange dans cette vie bien rangée (qui, qu’on se le dise, fait quand même très « foyer des années 50 », ce qu’annonce déjà la couverture des éditions de L’Iconoclaste). Caractérisée par une obsession un peu trop marquée pour ce mari qu’elle ne nomme jamais mais qui occupe tout son espace, on découvre petit à petit une femme voyeuriste et complètement névrosée, obnubilée par l’entretien de son couple (et non pas de sa famille, car – comme on le verra plus tard – ses enfants sont largement occultés). De ses vœux de mariage qu’elle donne à traduire à ses élèves aux nombreux carnets qu’elle tient pour approfondir ses connaissances amoureuses, compléter le profil détaillé de son mari ou encore lister les règles qui régissent leur couple et les punitions qui découlent des « erreurs » de son partenaire, l’homme qui partage sa vie est en réalité bien plus que cela : il est un centre gravitationnel vers lequel elle est sans cesse attirée. Absolument tout la ramène à lui.

Alors oui, la première moitié de ce roman est prometteuse. Maud Ventura nous dépeint efficacement une héroïne désespérée de romancer un amour vieillissant et considéré comme acquis. Dans une hypervigilance permanente, chaque détail, même le plus infime, a son importance. Chaque interaction avec son mari est pensée en amont et donne lieu à une analyse a posteriori : entre autres, l’éclairage de la lampe du salon est réfléchi pour générer une ambiance propice au rapprochement lorsqu’ils regardent la télévision et elle enregistre leurs discussions à l’aide de son téléphone afin de les disséquer par la suite pour étudier les comportements de son mari. Si l’absurdité de certaines réactions de la narratrice peut nous faire sourire – comme le bouleversement que provoque chez elle l’épisode de la clémentine – et nous distancier de ce personnage, d’autres passages nous invitent habilement à revoir notre jugement sur cette femme en lutte permanente avec ses névroses. Là est tout l’intérêt de cet ouvrage ; la femme a un regard critique sur ses actions, elle est malheureuse et on le comprend très rapidement. Elle déplore le fait que son amour passionnel et excessif la prive d’opportunités professionnelles et de relations plus profondes tant avec ses ami.e.s qu’avec ses enfants et va jusqu’à lire des histoires à sa fille lui offrant des modèles féminins plus émancipateurs, ne lui souhaitant pas d’être réduite à une vie similaire à la sienne. Elle souffre de se voir placer ses enfants au second plan, fourni des efforts constants et tente de combattre son besoin de réécouter les échanges avec son mari. Les TOC de l’héroïne ne sont que des manifestations de ses troubles, cristallisés par des déformations professionnelles de son métier de traductrice (qui génère chez elle un attachement au « mot juste » relativement intéressant mais peut-être sous-exploité), et de sa grande détresse émotionnelle et psychologique.

On ne peut qu’avoir un réel mouvement d’empathie lorsque celle-ci s’effondre dans les bras de son amant quand il place une main sur le haut de son crâne pour éviter qu’elle ne se cogne sur le lit, cet adultère étant le seul passage où elle semble écarter cette façade sociale qu’elle a progressivement composée.

L’héroïne nous apparaît donc sous un jour différent : elle n’est pas folle, sa relation réveille des insécurités et la condamne à s’oublier radicalement dans une recherche perpétuelle d’assurances d’un amour et, par extension, d’une stabilité de la situation sociale pour laquelle elle semble sans arrêt devoir faire ses preuves et à laquelle elle aspire depuis sa jeunesse. Ses comportements, quoique extrêmes et caricaturaux, ne sont-ils pas en ce sens plutôt communs ? J’en venais même, à mi-lecture, à culpabiliser de la dureté première de mon jugement.

C’est dans un second temps que cette fiction ne satisfait pas mes attentes. J’aurais dû m’en douter, la quatrième de couverture insistant davantage sur le caractère amusant et comique du livre, mais l’absence de profondeur a généré chez moi de la frustration. La complexité de la situation de son personnage principal est mise de côté et Maud Ventura se perd malheureusement dans une centaine de pages plutôt répétitives qui n’explorent pas davantage l’intériorité de cette femme, et assez peu inventives dans leurs façons de représenter le caractère obsessionnel de l’héroïne. Le complexe intellectuel de cette dernière, généré par son origine modeste et le déséquilibre entre son propre capital culturel et celui de son mari n’est selon moi pas assez approfondi. Même chose pour ses efforts inconsidérés pour être l’« épouse idéale », pour s’intégrer dans un milieu social qui n’est pas le sien en gommant son éducation et de nombreux traits de sa personnalité ou de son apparence physique pour se conformer aux attentes et pressions de sa riche belle-famille et aux injonctions de son mari. Également, son absence du dit « instinct maternel » et ses rapports avec ses enfants, allant parfois jusqu’à la maltraitance, sont le plus souvent évoqués pour souligner sa soit-disant « folie » mais peu sous le prisme de son regret de la maternité, pour laquelle elle a opté à contrecœur dans le but de satisfaire les besoins de son époux. Plutôt que de chercher à la comprendre et à nous donner des clés d’analyse (ce qui contraste avec la manie de son personnage à tout suranalyser), l’autrice semble davantage la condamner et vouloir, sans assez de nuances, mettre en avant la démesure du personnage (qui répète avoir conscience de ne pas être « raisonnable », alors que j’attendais peut-être plus de colère, voir de dégoût envers elle-même ?).

Jusqu’à rentrer, par une ultime révélation, dans un concours complètement surréaliste (quoique plutôt surprenant de fait, un bon point) du « Qui sera le plus fou du couple ? ».

J’aurais davantage apprécié une fin plus rocambolesque et/ou des craquages bien plus violents de la part de l’héroïne (aller faire un tour en voiture en hurlant des paroles de Supertramp pour se calmer et pleurer devant la fleuriste de ne pas savoir quelles fleurs offrir pour quelle occasion aurait pu n’être que le début … mais non, et je reste un peu sur ma faim), allant même jusqu’à des scènes plus morbides peut-être ?

Selon moi le livre est donc un entre-deux quelque peu décevant dans l’une et l’autre de ses dimensions : il n’est ni assez poussé dans l’absurde si c’est le ton que souhaitait donner l’autrice à son œuvre (ce qui semble être le cas), ni assez précis et réaliste pour un simili-roman d’analyse qui viserait à dépeindre une semaine d’angoisse graduelle d’une épouse et mère manifestement abusive mais en souffrance du fait de sa relation toxique.

4.5/10

Cocorabbit9
5
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Créée

le 6 févr. 2023

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Cocorabbit9

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