Une jeune femme décide de consacrer une année à dormir, sans raison particulière. Drôlement méchant, le deuxième livre d’Ottessa Moshfegh est un des moments les plus désespérément hilarants de cette rentrée littéraire.


En provenance des Etats-Unis, un vent de critiques élogieuses et d’avis positifs auréolait déjà Mon année de repos et de détente d’Ottessa Moshfegh : best-seller du New York Times, loué par le Times, Vogue et Entertainment weekly, Joyce Carol Oates écrivait même « *Une comédie urbaine noire, une satire incisive émaillée de passages d’une sobriété morbide, un croisement saugrenu entre Sex and the city et Requiem for a dream* ». Joignons-nous alors à ces critiques : Mon année de repose et de détente, par son originalité et sa description désabusée de la jeunesse new yorkaise ressort clairement des livres lus pour cette rentrée littéraire.


Le projet est loin d’être séduisant : une jeune femme décide de passer une année à dormir. Un projet ennuyeux pourrait donner un livre ennuyant. Ça serait oublier tous ces grands livres qui se sont construits autour de l’ennui : Oblomov de Gontcharov, Madame Bovary, Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq… Au premier abord, l’intérêt du lecteur se focalise sur le pourquoi du projet de la narratrice. Jeune, belle, riche et tout juste diplômée de l’université de Columbia, la narratrice a tout qui lui réussit, à première vue. Mais le suicide de sa mère, à la suite du décès de son père, pèse énormément. Le vide existentiel s’installe et le je-m’en-foutisme aussi : pourquoi s’escrimer durant un stage dans une galerie d’art réputée alors que l’on peut dormir tranquillement dans un placard ? Abandonnée par l’homme qu’elle aime, harcelée par une amie un peu trop envahissante, suivie par une psy aussi incompétente que délirante, la narratrice choisit de s’abandonner dans le sommeil à grand renfort de cachets.


Alors que tout nous pousse à nouer des relations, à se fixer des objectifs, bref, à « progresser », la proposition d’Ottessa Moshfegh, à travers son héroïne, est révolutionnaire. Pourquoi faire quelque chose alors qu’on ne peut rien faire ? Mêlant souvenirs douloureux et présent rythmé par l’inactivité, le livre oscille constamment entre l’humour noir et les réflexions désabusées sur le sens de la vie. New York est forcément une ville immense où l’on se perd et qui rend chacun fou (amie, psy et petit copain), New York qui accueille des galeries d’art aux œuvres incompréhensibles mais que tous les spécialistes trouvent ex-tra-or-dinnaires. La rédemption et l’échappatoire ne peuvent que passer par les films de Whoopi Goldberg et par le sommeil car, après un année dans un autre monde, « ma vie ne serait qu’un rêve, et je pourrais sans regret repartir de zéro, renforcée par la béatitude et la sérénité que j’aurais accumulées pendant mon année de repos et de détente ».



Le pire, c’était que ces types essayaient de faire passer leur manque
d’assurance pour de la « sensibilité », et que ça marchait. Ce
seraient eux qui dirigeraient les musées et les revues, et ils ne
m’embaucheraient que s’ils pensaient pouvoir me baiser. Mais quand
j’allais à des soirées avec eux, ou dans des bars, ils m’ignoraient.
Ils se prenaient tellement au sérieux, ils étaient tellement absorbés
par leur conversation avec leurs sosies de camarades – on aurai cru
qu’ils devaient prendre une décision si lourde de conséquences que le
monde risquait d’exploser. Ils me faisaient croire que la « chatte »
ne les intéressait pas. La vérité était sans doute qu’ils avaient tout
simplement peur des vagins, peur de ne pas arriver à en comprendre un
aussi rose et aussi joli que le mien, et qu’ils avaient honte de leurs
propres insuffisances sensuelles, peur de leur propre bite, peur
d’eux-mêmes. Alors ils se concentraient sur des « idées abstraites »
et devenaient alcooliques pour noyer cette haine de soi qu’ils
préféraient nommer « ennui existentiel ». On les imaginait aisément se
masturber sur Chloë Sevigny, sur Selma Blair, sur Leelee Sobieski. Sur
Winona Ryder.


JulienCoquet
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le 16 août 2020

Critique lue 361 fois

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Julien Coquet

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