Mécanique - Les cours de physique de Feynman, tome 1 par Erw

«Les poètes disent que la science ternit quelque peu la beauté des étoiles [...] (mais) cela ne fait point de mal au mystère d'en connaître un petit peu sur lui. Car la vérité est bien plus merveilleuse que ce que les artistes ont imaginé par le passé. Pourquoi les poètes du présent n'en parlent-ils pas ? Quels hommes sont ces poètes qui peuvent parler de Jupiter lorsqu'il prenait la forme d'un homme et se taisent si c'est une immense sphère de méthane et d'ammoniac en rotation ?»

Le livre enfin refermé après un sursaut sauvage de motivation pour venir à bout, je dois faire ce constat presque décevant : je n'ai pas appris grand chose, finalement. Mais il ne faut pas se méprendre sur le but de Feynman, l'enjeu ici, ce n'est pas de faire comprendre la physique. Ça, n'importe quel péquin ayant un minimum d'éducation pourra vous aider. Non, il s'agit bien de faire aimer la physique !

Ainsi feuilletez le livre devant n'importe quel taupin, il sera stupéfait, et en même temps plutôt dubitatif : «Un livre de physique, ça ? Avec 3 formules de maths toutes les 50 pages ? Tu te fous de ma gueule ?». Non, non, pour Feynman, la physique, c'est des constats, des expériences, des idées, des raisonnements, surtout ça en fait : des raisonnements. Bref, tout sauf des expressions mathématiques sans vie qui s'accumulent sans qu'on y comprenne rien à rien mais qu'on admet parce qu'elles sont jolies.

Ainsi Feynman nous prend par la main et nous emmène dans ce grand monde que certaines mauvaises langues pourraient appeler un «grand blabla de physique de comptoir». Le premier chapitre, dénué de tout formalisme mathématiques et lisible par ma grand-mère, est dédié par exemple à montrer comment l'idée la plus simple au monde, à savoir «Tout est composé de petits machins appelés atomes» peut expliquer quasiment la totalité des observations quotidiennes. Mais insiste encore plus fortement sur un point assez subtil et important : C'est justement parce que cette idée peut expliquer la totalité des observations quotidiennes qu'on la suppose vraie. Feynman fait peut-être de la physique de comptoir, mais avec le sourire, devant une bonne bière, avec une prose de qualité et des bons mots, moi, je ne refuse pas.

Mais ne nous laissons pas berner, ce n'est pas parce que Feynman est compréhensible et qu'il fait dans le qualitatif que ce serait de «bas niveau». Passé les 3 premiers chapitres où il nous chauffe avec une vision épidermique mais totale de la physique (et de la biologie, sic), commence l'introduction des concepts importants. L'introduction du concept d'énergie est tellement épique qu'elle devrait être inscrite dans tous les livres de physiques du secondaire pour arrêter l'ésotérisme : «Ce n'est pas la description d'un mécanisme, ou de quoique ce soit de concret, c'est simplement ce fait étrange que nous puissions calculer un nombre et que, lorsque nous avons fini d'observer la nature et que nous recalculons ce nombre, il soit le même.». Vous avez ici la définition la plus générale, la plus précise et la moins vulgarisée de ce qu'on appelle énergie : un nombre que l'on a construit pour qu'il soit conservé. Point. Ceci indépendamment de toute notion de «force» ou trucs compliqués. C'est assez drôle de voir que cette définition que tout le monde est capable d’appréhender est avec le recul beaucoup plus fondamentale et puissante que la définition de wikipédia : «capacité d'un système à produire un travail» que personne ne bitera et qui est vraie uniquement dans le cadre restreint de la mécanique classique. Donc méfiez-vous en lisant Feynman : il est beaucoup plus profond que son apparente simplicité. Et ce n'est pas le chapitre où il introduit les vecteurs en les définissant de manière subliminale comme des tenseurs qui me donnera tort, ou celui où il pourrait dériver la conservation de la quantité de mouvement des lois de Newton en deux lignes, mais l'explique par de simples symétries sur l'espace, anticipant ainsi de très très loin la mécanique quantique...

Mais ne partons pas trop loin. L'idée n'est pas d'avoir une compréhension exhaustive et profonde de la physique, comme je l'ai déjà dit. Feynman s'adresse en fait à des premières années (donc le livre est accessible à quasiment tout le monde, avec peut-être un niveau première S/Terminale S pour ne pas être trop largué, je ne sais pas), il sait que ces petits merdeux ne retiendront rien à rien. Ainsi lorsque vous ressortez d'un chapitre, par exemple celui sur la gravitation, ce n'est pas avec l'impression «Ouah, maintenant je sais calculer les variations de l'orbite de Jupiter perturbé par saturne avec une précision du troisième ordre.» Non non, c'est juste, avec une impression de vertige, d'avoir affaire à la plus belle et élégante des théories jamais imaginée...Richard Feynman ne donne aucune précision car il sait que si vous êtes motivé et intelligent, vous arriverez à vous informer ailleurs, prendre d'autres livres, apprendre par vous-même, et finalement la calculer cette foutue variation de l'orbite de Jupiter. Mais cette vision générale et belle de la gravitation, vous ne la trouverez pas ailleurs.

Ce dernier point résume à lui seul toute la ligne de conduite du monsieur et fait toute la force du bouquin. Mais c'est de là que, paradoxalement, vient ses toutes ses faiblesses : pas d'exercices, peu d'exemples... En gros, vous pouvez partir de zéro en lisant ce livre, mais progresser sera peut-être compliqué car l'indispensable pratique permettant de prendre un peu de recul sur ce que l'on vient d'apprendre est absente. Ainsi vous ne pourrez - je pense - jamais résoudre d'exercices académiques. Dommage, dommage, hein ! Par contre, vous pourrez probablement aborder les autres livres avec une compréhension beaucoup plus qualitative et profonde des phénomènes. Ce fameux «sens physique» ! Ce n'est pas rien, tout de même !

Mais la chose qui rend ces cours absolument fameux : ce style informel. Ce passage en haut présente Feynman taclant les poètes, mais vous aurez également Feynman taclant les «philosophes de la relativité restreinte» :

«Lorsque cette idée se propagea à travers le monde, elle causa un grand émoi parmi les philosophes, particulièrement chez les "philosophes de salon" qui vont disant : "Oh, c'est très simple : la théorie d'Einstein dit que tout est relatif !" En fait, un nombre étonnamment grand de philosophes, pas seulement ceux que l'on rencontre dans les salons (mais plutôt que de les embarrasser, nous les appellerons simplement philosophe de salon) disent : «Einsein a dit que tout est relatif, et ceci a eu une influence profonde sur nos idées.» De plus, ils disent : «On a démontré en physique que les phénomènes dépendent de notre système de référence». [...] Ainsi on considère que «les choses dépendent de votre système de référence» a eu un profond effet sur la pensée moderne. On peut bien se demander pourquoi, car, après tout, que les choses dépendent du point de vue de chacun est une idée si simple qu'il n'était pas nécessaire d'être passé par toutes les difficultés de la théorie physique de la relativité pour pouvoir la découvrir.»

Hop, allez, maintenant, après ce petit pavé, en route pour "Mécanique 2", qui traite en fait d'optique et de thermodynamique, comme son nom ne l'indique pas !

ici : http://www.senscritique.com/livre/Mecanique_Le_cours_de_physique_de_Feynman_tome_2/critique/45521534
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le 16 janv. 2015

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