Noir d'ébène

Le titre clin d'oeil aux Smashing Pumpkins ("despite all my rage, I'am still just a rat in my cage") annonce la couleur : "Malgré toute ma rage" est un vrai roman noir. Noir d'ébène. Le voyage de quatre jeunes françaises en Afrique du Sud vire rapidement au cauchemar avec la disparition de l'une d'entre elles. L'enquête démarre illico. Menée par un inspecteur aussi attachant qu'aventureux avec la procédure, elle restera approximative et ne progressera jamais vraiment.

Elle trouvera une solution mais ne résoudra rien, car l'enjeu est ailleurs.L'intrigue, en quelques sortes, bifurque, se décentre de la traque du coupable. Et le cauchemar initial, deviendra peu à peu cauchemar absolu, ultime. Tout ce que l'âme humaine recèle de sordide est convoqué par Jérémy Fel. Ni la morale ni la bienséance ne viendront dévier le cap de cette grande tragédie. Une tragédie à l'ancienne, et même à l'antique. La progression du récit est inouïe - parfois trop, et servie par une écriture au rythme implacable. L'écriture du présent de l'indicatif. L'écriture de l'action et de l'inexorable. L'écriture sans fioritures, et sans complaisance surtout. Ici, le lecteur ne sera jamais épargné. On ne lui raconte pas, on lui donne, on lui livre et le tableau se déploie sous ses yeux.Ce "On" n'est pas l'auteur, ces sont les 7 narrateurs qui divisent le livre en autant de parties, et forment un roman choral qui pour une fois n'opère pas par la magie de la différenciation des points de vue. C'est un roman choral où les points de vue s'accumulent pour accabler.C'est vif - parfois furtif, terrifiant, cruel (très) et drôle (un peu). Une tonalité qui surprend, étonne et détone.La violence insoutenable du prologue agit tel un avertissement pour le lecteur. Personne ne peut décemment éprouver la moindre empathie pour l'auteur de telles atrocités. Et pourtant, c'est le défi qui sera relevé. Là réside la grande réussite du livre.