Kikutani va sur ses cinquante ans. Sous peu, cela fera quinze ans qu’il est en prison. Il y purge une peine de détention à perpétuité pour avoir tué sa femme, blessé l’homme avec lequel elle le trompait et tué la mère de ce dernier par inadvertance. Quinze longues années passées derrière les barreaux, coupé du monde.


Entre temps, le monde a changé. Le Japon a changé. Les paysages se sont urbanisés, les gratte-ciels ont poussé comme des champignons, modifiant radicalement l’horizon de la ville. L’inflation a suivi son cours, augmentant les prix des denrées quotidiennes jusqu’à six fois ce qu’ils étaient naguère.


Mais surtout, Kikutani a perdu l’habitude de vivre libre. Enfermé pendant si longtemps, il n’a plus aucun repère social, économique ou psychologique. Il a vécu pendant toute sa réclusion au rythme des repas servis à heure fixe, à celui de son travail comme relecteur des épreuves d’une imprimerie, qui l’occupait toute la journée.


Aussi quand il obtient du juge une liberté conditionnelle, qui ne pourra jamais se finir du fait de la nature perpétuelle de sa peine, le retour à la vie normale est extrêmement difficile. Toutefois, accompagné dans cette réacclimatation par une association spécialisée et un tuteur, Kikutani rapprend petit à petit comment vivre. Il regagne ses automatismes, effacés par des années de conditionnement physique et psychique. Il recommence à travailler, à gagner de l’argent et à le dépenser pour manger, fumer et se faire plaisir, se tenant au demeurant éloigné des plaisirs de la chair.


Toujours sur le qui-vive de quelqu’un qui pourrait le reconnaître (sa détention et sa peine sont tenues secrètes par ses tuteurs), il mène cependant une vie érémitique, où le contact avec la société est laissé à un strict minimum. Kikutani mène ainsi une existence troublée, monotone, où ses quelques plaisirs semblent irrémédiablement rattrapés par la nature pesante de sa condition de libéré sur parole...


Avec son style comme à l’accoutumée clair, fluide et très vif, Akira Yoshimura dépeint très sensiblement le difficile retour d’un condamné à perpétuité à une vie à peu près normale. Sans jamais quitter ce motif obsessionnel du crime spontané et sans remords aux conséquences dévastatrices (déjà entrevu dans Le Convoi de l’eau), l’écrivain nous plonge avec talent dans la psychologie perturbée mais touchante de son protagoniste qui cherche tant bien que mal à reprendre une existence paisible. Il observe également d’un regard neutre mais enrichissant les mutations économiques et sociales de son pays à la fin du XXe siècle, et le difficile retour à la société des criminels à cause du poids moral écrasant de la faute dans la culture japonaise.


Une radiographie passionnante sur les conditions de réinsertion des criminels au Japon en même temps qu’une plongée virtuose dans l’esprit d’un homme condamné à rester, pour le restant de ses jours, en liberté conditionnelle.


Lu en français dans la traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle.

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le 3 juil. 2021

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