Que les amateurs du cinéma de François Truffaut, qui connaissent donc le ton mi-sérieux, mi-goguenard de la voix off des Mistons, le sachent : il provient de la dernière nouvelle des Virginales de Maurice Pons. Il est le même dans tout le recueil, à l’exception peut-être du dialogue enfantin de « Mots d’enfants ». Mais « Mots d’enfants » pourrait être le titre de tout le recueil. Il est pourtant le seul récit dans lequel on ne lira pas le mot virginales, remplacé en l’occurrence par « vierge » (p. 54). Tout ça pour dire que les dix récits du recueil forment un ensemble extrêmement cohérent, autour de « cette crispation des enfants devant l’amour qu’ils ignorent et qui les hante » (« Les Mistons »).
Qu’apprennent les enfants – garçons ou filles, narrateurs ou personnages extérieurs, individuellement ou en groupe – dans les Virginales ? Pas grand-chose. Plus exactement, pour eux, il s’agit moins d’acquérir des certitudes que de dissiper les illusions sur lesquelles se construit leur enfance, cet « âge où l’on ne distingue pas les fiançailles de l’amour » (« Miss Fraulein », p. 20). À la fin de chaque récit, un mirage s’est dissipé ; mais rien ne l’a remplacé. En d’autres termes, la narrateur de « Miss Fraulein » aura peut-être appris que les fiançailles ne sont pas l’amour, mais ne saura pas pour autant définir les fiançailles ou l’amour. (Voir aussi le narrateur de « Balzac », qui croira longtemps que l’auteur d’Illusions perdues est « un ours, un ours énorme, tout noir », p. 33 !)
Cela, Maurice Pons l’expose tout en finesse, jouant avec le lecteur, comme dans les Saisons, comme dans Mademoiselle B., le chargeant d’accomplir sa part de travail : « Chacun de nous portait dans le cœur cette folie d’image et d’amour, plus précieuse à nos âges que la vie qui l’autorise » (p. 92-93), fait-il dire au narrateur d’« À bicyclette », et chaque lecteur devient libre, s’il en a l’envie et les moyens, de se demander ce que fut sa folie à lui…
D’ailleurs, l’auteur a trouvé un terrain de jeu particulièrement intéressant : la sensualité. Je parle ici de sensualité au sens propre : il s’agit dans les Virginales de sensations – la vue, l’odorat, le goût, l’ouïe et particulièrement le toucher. Naturellement, le plaisir n’est pas absent de cette sensualité-là. Seulement, il se trouve pas là où l’on croit ; un lecteur qui, sur la foi d’une couverture des éditions Christian Bourgois finalement trompeuse, chercherait à y épancher un goût malsain pour la sexualité des enfants, en serait pour ses frais. (Ce n’est peut-être pas un hasard s’il fallut un François Mauriac pour juger « attentatoires » les textes des Virginales, ainsi que le rapporte Pons dans son avant-propos.)
Bien sûr que la sexualité est l’un des points communs aux nouvelles de Virginales. Bien sûr qu’il y a du sadisme dans cette « logique propre à l’enfance : n’ayant pas l’âge d’aimer Yvette, nous décidâmes de la haïr et de tourmenter ses amours » (« Les Mistons », p. 97). Bien sûr, les « rêveries étranges » du narrateur de « La Communiante » constituent une métaphore transparente – et merveilleusement drôle ! – : « J’approchais à petits pas, pieusement, les yeux clos, tenant à deux mains mon cierge. J’approchais, je grandissais, et mon cierge aussi grandissait, démesurément, mais par saccades, comme un tuyau plus grave, dans un jeu d’orgue, succède au tuyau plus aigu. Une musique éclatante emplissait le ciel et l’église. Mon cierge doré croissait toujours, sa flamme bientôt creva la nef et vint rayonner dans tout le ciel » (p. 84-85).
Mais il faut être un Mauriac pour trouver ces lignes pornographiques, un confesseur tourmenté pour prêter à Pons une autre ambition que de définir ici l’« état indescriptible » (p. 85, les italiques sont de moi) dans lequel le narrateur se réveillera. Dans « À bicyclette », une jeune fille pleine de mystère soumet le narrateur à« un véritable interrogatoire, mais d’une police propre à l’enfance » (p. 89) ; c’est, me semble-t-il, à cette seule police-là qu’il faut obéir en lisant les Virginales – une police qui, comme le grand styliste qu’est l’auteur, pèserait ses mots.

Alcofribas
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le 28 janv. 2019

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