Souhaitant s’éloigner un peu des essais (mais pas trop), Joseph de Maistre fait part ici d’un raffinement poétique qu’on lui connaissait déjà, mais pour cette fois mettre en valeur paysages et phénomènes naturels. Le coucher de soleil y est joliment et longuement décrit, les eaux de Saint-Petersbourg soigneusement représentées, conférant un cadre idyllique pour des dialogues très soutenus et captivants entre nobles qui débattent.

Avec ce style très soigné, De Maistre aborde une variété de sujets, allant de la politique à la religion en passant par la philosophie, et propose des réflexions originales et audacieuses. Il évoque avec regret la disparition des symposiaques, discussions philosophiques autour d’un repas qui avaient lieu dans l’Antiquité, soulignant ainsi l’importance de ces interactions sociales. Même si je suis plus du genre sauvage, j’ai tendance à être d’accord parce que ce sont les discussions de ce type, à propos de n’importe quel sujet (culturel, hein) qui permettent aux gens de s’intéresser à la vie et s’y impliquer. Il fait une superbe référence : inviter Minerve à prendre le thé. Comprendre canaliser les conflits par les plaisirs sensuels, représentés par Bacchus, même si ce dernier est plus connu pour son vin.

Jugement anachronique, mais si nous, modernes, critiquerions la télé et les portables, De Maistre lui, impute à l’orgueil et l’irréligion cette perte sociale. Ces forces ont semé sophismes et confusions pour empêcher les gens de raisonner sereinement.

J’ai trouvé brillant le dialogue entre le comte, le chevalier et le sénateur, au sujet des voies de la justice divine, et je préfère citer plutôt que commenter : « il y a beaucoup de danger à laisser croire aux hommes que la vertu ne sera récompensée, et le vice puni que dans l’autre vie. Les incrédules, pour qui ce monde est tout, ne demandent pas mieux, et la foule même doit être rangée sur la même ligne : l’homme est si distrait, si dépendant des objets qui le frappent, si dominé par ses passions, que nous voyons tous les jours le croyant le plus soumis braver les tourments de la vie future pour le plus misérable plaisir. Que sera-ce de celui qui ne croit pas ou qui croit foiblement ? »

« Je voudrais pouvoir dire comme Montaigne : l’homme se pipe, car c’est le véritable mot. Oui, sans doute l’homme se pipe ; il est dupe de lui-même ; il prend les sophismes de son cœur naturellement rebelle (hélas ! rien n’est plus certain) pour des doutes réels nés dans son entendement. Si quelquefois la superstition croit de croire, comme on le lui a reproché, plus souvent encore, soyez-en sûrs, l’orgueil croit ne pas croire. C’est toujours l’homme qui se pipe ; mais, dans le second cas, c’est bien pire. »

Trop épris de libertés, l’homme se laisse corrompre. Je suis totalement en phase avec cette idée.

Certains pourraient trouver l'ouvrage difficile d'accès en raison de sa complexité et l’utilisation de références usitées pour présenter les idées. Les concepts abordés peuvent parfois sembler obscurs et exigeants pour les lecteurs moins familiers avec la pensée philosophique et politique, mais la force de cet ouvrage réside aussi dans la beauté littéraire de ses phrases.

Par ailleurs, le livre reflète également les idées conservatrices de De Maistre. Ses opinions fortement ancrées dans le christianisme et son rejet du progrès pourraient sembler choquantes et dépassés pour certains lecteurs modernes, ce qui me accroît mon estime pour cet auteur car je suis un vieux dans un corps de jeune.

Malgré son statut plus poétique qu’un essai, Les Soirées de Saint-Pétersbourg reste une œuvre importante de la pensée de De Maistre et propose en plus une réflexion profonde sur des sujets fondamentaux de la condition humaine à travers la hiérarchie et le respect de la religion. Il peut être un livre stimulant pour ceux qui sont intéressés par la philosophie et la politique, mais il demande une certaine patience et une ouverture d'esprit pour en apprécier pleinement la richesse, même si on peut prendre du plaisir rien qu’avec la forme.

Ubuesque_jarapaf
9

Créée

le 16 oct. 2023

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