Les Robots
7.9
Les Robots

livre de Isaac Asimov (1950)

Si il ne devrait y avoir qu’un seul auteur associé à la figure du robot, nombreux sont amateurs de science fiction qui choisiraient Isaac Asimov. En effet, la dense bibliographie de nouvelles et romans faisant partie de ce qu’on appelle le cycle des Robots auront une influence considérable sur la SF ainsi que la littérature et la culture populaire au sens large. Ces oeuvres tout droit sorties de cet esprit révolutionnaires marqueront un avant et un après dans le long et complexe imaginaire lié au robot.


Mais en quoi est-ce que sa vision est-elle si avant-gardiste? Comment pouvons nous l’interpréter au vue de son époque? Et comment se positionne-elle dans la chronologie de la figure du robot?


C’est probablement dans son recueil de nouvelles « Les robots » sorti en 1950 que cette représentation est exposée avec le plus de clarté. Celui-ci est constitué de nouvelles sorties dans plusieurs magazines pulp durant les années 40. Les robots constituera le premier ouvrage de ce qu’on appellera plus tard le cycle des robots.


Celui-ci narre les histoire de Susan Calvin à différents moments de sa vie. Occupant un poste important dans l'U.S. Robots and Mechanical Men, fabricants exclusifs de robots positroniques, elle est confrontée à différentes situation mettant en scène les produits de cette dernière. Ces robots sont soumis impérativement et obligatoirement aux trois lois de la robotique. Ces trois lois, énoncées pour la premières fois dans ces écrits, ont eut un impact bien plus large que le simple lectorat d’Asimov. Elles sont les suivantes:


1.Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger ;
2.Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ;
3.Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.


Les différentes nouvelles qui composent l’ouvrage sont des sorte d’énigmes découlants de ces trois lois. A noter qu’Asimov joue avec le fait que ses robots semblent parfois déroger à ces lois, et faire ainsi un premier pas vers la rebellion. L’auteur joue ainsi avec l’horizon d’attente du lecteur.


Asimov est parfaitement conscient de la portée révolutionnaire qu’implique sa vision du robot. Il parlera par ailleurs de la rupture de celle-ci avec ses précédents dans le préface de « Les robots ». Asimov écrit:


*« Dans les premières années du XIXe siècle, la nature exacte de l’invasion sacrilège à la Frankenstein d’une connaissance interdite semblait très claire. La science de l’homme en pleine expansion pourrait vraisemblablement insuffler la vie à une matière morte; mais quant à créer une âme, il dépenserait ses efforts en pure perte, car c’était là le domaine exclusif de Dieu. En conséquence, Frankenstein pouvait au mieux créer une intelligence dépourvue d’âme, une telle ambition étant d’ailleurs maléfique et digne du châtiment suprême. […] Dans les années 30, je devins lecteur de science-fiction et je me lassai rapidement de cette histoire inlassablement répétée. Puisque je m’intéressais à la science, je me rebellai contre cette interprétation purement faustienne de la science. […] Mes robots étaient des engins conçus par des ingénieurs et non des pseudo-humains créés par des blasphémateurs. »


Isaac Asimov, Les robots, 1950*


Asimov fait ici référence à la vision dominante, antérieur à la sienne, des créatures atrificielles. Cette tradition dont il place dans son argumentaire (probablement pour des raisons de simplicité) le début au roman Frankenstein de Mary Shelley est en réalité bien plus ancienne. On peut remonter loin pour trouver ses origines. Dans l’antiquité déjà, On accordait à certaines statuettes des caractéristiques humaines. Les automates également sont par définition « des machines qui reproduisent le mouvement et les attitudes d'un être vivant ». Cette idée même que l’on accorde des attributs humaines à une création artificielle, est celle contre laquelle Asimov se dresse. A noter que cette idée, de pars son ancienneté et sa récurrence, est extrêmement ancrée dans l’imaginaire collectif, ce qui nous donne un aperçu de la radicalité de la vision nouvelle qu’est celle d’Asimov.


Celle-ci en viendra à être Amplifiée par la révolution industrielle, les progrès exponentiels de la science, le Taylorisme et les enseignements d’Adam Smith. Ce mouvement de l’humanisation de l’artificiel s’accompagne à cette période d’une « mécanisation » de l’être humain. L’historien et urbaniste Lewis Mumford parle de cette double tendance en ces termes:


*« La manu-facture, c’est à dire l’organisation et la division d’un travail manuel accompli dans de grands établissements équipés ou non de machines, déconstruisit le processus de production en une série de de tâches spécialisées. Chacune de ces opérations était accomplie par un travailleur spécialisé dont l’efficacité était d’autant plus grande que sa fonction était limitée. Cette division était en fait une sorte d’analyse empirique du processus de travail, qui le découpait en une série de mouvements humains simples qui purent ensuite être transposés en opérations mécaniques. Une fois cette analyse effectuée, la reconstruction de toute la séquence des opérations dans une machine devint possible. La mécanisation du travail humain, fut, de fait, le premier pas vers l’humanisation de la machine — humanisation au sens où l’on donna à l’automate quelques-uns des équivalents mécaniques de l’être humain. L’effet immédiat de cette division du processus fut une monstrueuse déshumanisation, à laquelle les pire corvées de l’artisanat peuvent à peine être comparées. »


Lewis Mumford, Technics and Civilization, 1934, pp. 148*


Cette « monstrueuse déshumanisation » et l’industrialisation de notre société de manière plus générale provoquera un nombre important de révoltes sur de nombreux plans, notamment sociaux et politiques.
Les artistes également dénonceront et créeront des oeuvres et des styles s’opposant à ce nouveau paradigme. Par exemple l’émergence de l’art nouveau volontairement organique pour s’opposer aux lignes droites et aux raisonnements pragmatiques qu’entrainent l’industrialisation et la préfabrication. Dans le domaine du cinéma au début du vingtième siècle, cette thématique est récurrente. Notamment dans le célèbrissime « Modern Times » de Charlie Chaplin, qui narre les aventures de son personnage Charlot qui tente de survivre dans un monde industrialisé, ou encore l’incroyable Metropolis de Fritz Land.


C’est par ailleurs dans ce terreau fertile et dans ce même mouvement de contestation que va naître le mot robot. C’est en 1921 de l’esprit de Karel Čapek qu’est apparu pour la première fois ce mot nouveau, dans sa pièce de théâtre « R. U. R. (Rossum's Universal Robots) ». Celui-ci étant étant dérivé des mots tchèque signifiant esclaves, ouvirer et travail.
Dans cette pièce l’usine de fabrication de robots « R.U.R » crée des machines biologiques d’apparence humaines. Celles-ci sont parfaitement dociles et dénuées de sentiments. Pour des raisons pratiques, les ingénieurs leurs confères un peux plus d’intelligence et de sensibilité. Plus tard, ceux-ci se révolterons et créerons un nouvel ordre mondial en détruisant l’humanité.


L’analogie avec la situation des ouvriers dans cette société fortement industrialisée du début du siècle est aisément reconnaissable et parfaitement représentative de la perception quasi unique que l’on gardera des robot jusqu’aux écrits d’Asimov. Celle d’une créature ayant des caractéristiques de l’homme mais qui étant créée par l’homme et non par dieux condamne son créateur à une punition divine.


*"Domin:
What sort of worker do you think is the best?


Helena:
The best sort of worker? I suppose one who is honest and dedicated.


Domin:
No. The best sort of worker is the cheapest worker. The one that has the least needs. What young Rossum invented was a worker with the least needs possible. He had to make him simpler. He threw out everything that wasn’t of direct use in his work, that’s to say, he threw out the man and put in the robot. Miss Glory, robots are not people. They are mechanically much better than we are, they have an amazing ability to understand things, but they don’t have a soul. Young Rossum created something much more sophisticated than Nature ever did - technically at least!


Helena:
They do say that man was created by God.


Domin:
So much the worse for them. God had no idea about modern technology. Would you believe that young Rossum, when he was alive, was playing at God."


Karel Čapek, R.U.R (Rossum’s Universal Robots), 1921*


Ce passage de la pièce aborde à la fois la thématique de l’ouvrier et celle de la création réservée au divin. Selon le point de vue pragmatique et parfaitement industriel de Harry Domin directeur de la R.U.R., Ces créatures ne sont créées que dans le but d’être les plus efficientes possibles et ce à moindre coût, sorte de caricature de comment le patron industriel par excellence perçoit ses ouvriers.
Dans la deuxième partie de la citation, il est mis l’accent sur le fait que Rossum se serait octroyé des attributs divins en créant les robots, dans la pièce l’humanité en payera le prix cher.


Sur la question des origines des robots, il est intéressant de noter que Čapek conçoit ici une origine biologique aux robots. Bien que synthétique, celle-ci reste tout de même éloignée de l’image mécanique que l’on gardera associée au mot.


*Domin:
Well this is what happened. (sits at desk, seems captivated by Helena and speaks quickly) It was in 1920 when old Rossum, still a young man then but a great scientist, came to live on this isolated island in order to study marine biology. Stop. Alongside his studies, he made several attempts to synthesise the chemical structure of living tissues, known as protoplasm, and he eventually discovered a material that behaved just the same as living tissue despite being, chemically, quite different. That was in 1932, exactly four hundred and forty years after the discovery of America.


Karel Čapek, R.U.R (Rossum’s Universal Robots), 1921*


Cet particularité vient probablement de la volonté de l’auteur de rendre le parallèle avec l’homme encore plus évident. A l’inverse, et ce pour se détacher du « robot métaphore de l’humain », Asimov insiste sur l’origine parfaitement scientifique de ses robots.


*«Robertson et ses réseaux cérébraux positroniques avaient chamboulé tout les progrès accomplis sur les « calculateurs » durant la seconde moitié du XXe siècle. Les kilomètres de relais et de photocellules avaient laissé place au globe spongieux de platine-iridium, de la taille d’un cerveau humain.»


Isaac Asimov, Les robots, 1950*


il place ces avancées dans la continuité des progrès scientifique de l’époque, Asimov étant particulièrement au courant de l’état de la science de son temps. Ce pour des raisons de vraisemblance et faciliter ainsi l’immersion du lecteur, mais également pour insister sur l’aspect parfaitement technologique de ses robots, Ils ne sont que la suite logique des énormes progrès de la science, et non pas utilisés comme élément ironique de la condition de l’homme. Les robots d’Asimov ne font pas référence à l’être humain mécanisé par la société, mais à la technologie.


Asimov sera toute sa vie persuadé que la science peut rendre le monde meilleur, qu’elle peut faire évoluer l’homme. Il aura la volonté de la rendre accessible afin que les gens n’en ait plus peur. Il produira par ailleurs de nombreuses oeuvres de vulgarisation à volonté pédagogique. Notons par exemple le projet de série TV « Visions of the future » lancé à la fin de sa vie. Celle-ci est une sorte de glorification de la science, mettant en avant la foi énorme qu’il a gardé tout au long de sa vie dans le paradigme que la technologie mène à la paix et à la sagesse.


Celui-ci est bien présent dans les robots, principalement dans la dernière nouvelle du recueil. Elle décrit un monde ou des ordinateurs surpuissants seraient impliquées et contrôlerait toutes les activités économiques de l’humanité.


*« bien qu’elles ne soient que le plus vaste conglomérat de circuits jamais inventé, elles demeurent néanmoins des robots soumis aux impératifs de la Première Loi, si bien que l’économie générale de la planète est en accord avec les intérêts bien compris de l’Homme. Les populations de la Terre savent que n’interviendront jamais le chômage, la surproduction, ou la raréfaction des produits. Le gaspillage et la famine ne sont plus que des mots dans les manuels d’histoire. »


Isaac Asimov, Les robots, 1950*


Asimov et sa vision de la technologie peut être vue comme en opposition avec son temps, sorte d’idéalisation du progrès, celle-ci est une idée typiquement 19eme, bien que présente également chez Arthur C. Clarke (childhood’s end). Depuis la 1ere guerre mondiale, la foi dans le progrès est mis à mal, la technologie est utilisée pour la guerre et non plus pour rendre le monde meilleur.


« Le XIXe siècle, dans son idéalisme libéral, était sincèrement convaincu qu’il se trouvait sur la route rectiligne et infaillible du "meilleur des mondes possibles". On considérait avec dédain les époques révolues, avec leurs guerres, leurs famines et leurs révoltes, comme une ère où l’humanité était encore mineure et insuffisamment éclairée. Mais à présent, il ne s’en fallait plus que de quelques décennies pour que les dernières survivances du mal et de la violence fussent définitivement dépassées, et cette foi en un "Progrès" ininterrompu et irrésistible avait véritablement, en ce temps-là, toute la force d’une religion. […] Nous qui avons appris dans le siècle nouveau à ne plus nous étonner par aucune explosion de la bestialité collective. […] Nous avons dû donner raison à Freud, quand il ne voyait dans notre culture qu’une mince couche que peuvent crever à chaque instant les forces destructrices du monde souterrain»


Stefan Zweig, Die Welt von Gestern, 1944, pp.17


Les années 50 sont par ailleurs parfaitement imprégnée de ces thématiques. L’URSS teste sa première bombe atomique en 1949, et les États-Unis testent la première bombe H dans l’atoll Bikini en 1952. L’opinion est au courant de la croissance exponentielle de la puissance de ces bombes, et entrevois la prolifération nucléaire des décennie à venir.


Asimov transcrit ironiquement cette peur de la technologie dans ses nouvelles. les robots sont interdis sur terre et des mouvement anti-robots se forment. Les personnages « éclairés » se moquent de ces peurs, comme si la terre n’était pas encore prête, que les mentalités continuaient de percevoir la technologie comme quelque chose de mal (ancien paradigme). Susan Calvin parle de ces peurs en ces termes:


*«On aurait dû s’en douter depuis le début. On vendait alors des robots à usage terrien… même avant mon époque. Bien sûr, en ce temps-là, ils ne parlaient pas. Par la suite, ils sont devenus plus humains et une opposition a surgi. Comme il fallait s’y attendre, les syndicats refusaient de les voir concurrencer les hommes sur le plans de la main-d’oeuvre et certains secteurs de l’opinion religieuse soulevaient des objections à caractère superstitieux. Parfaitement ridicule et inutile, mais le fait était là. »


Isaac Asimov, Les robots, 1950*


A l’époque ou les progrès de la technologie et les balbutiements de l’informatique commençaient à laisser entrevoir la possibilité de créer une intelligence artificielle, un esprit brillant et visionnaire a conféré au robot sa facette qui lui semblait être la plus légitime, celle du robot non pas comme métaphore de l’humain, mais comme pur produit de la science. Ses robots seraient des outils, parfaitement dociles et aideraient l’Homme à accomplir des choses extraordinaires, à le rendre meilleur. Cette image nouvelle tient paradoxalement d’une manière de percevoir la technologie maintenant dépassée. Elle peut bien sûr sembler naïve et candide à nos yeux, fatigués par tant d’atrocités digérées chaque jours. Mais n’est-ce pas là, en fait, un des meilleur atouts des écrits d’Asimov, lui qui a la capacité de rendre rationnel l’incomprehensible, de nous plongé dans un monde rassurant et logique pour nous permettre de nous évader quelques instants de l’incompréhension par laquelle, chacun à sa manière, vit le monde réel?

Bardo
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le 15 déc. 2015

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