Du pain et surtout des jeux...

Le cycle de Wang est certainement le meilleur ouvrage de Pierre Bordage, avec une vision géopolitique à la fois pragmatique et cynique de notre futur possible (voire de notre présent noirci?). L'Occident s'est en effet muré littéralement derrière des barrières infranchissables. Ces dernières laissent juste pénétrer dans leur enceinte des domestiques et la chair à canon nécessaire à alimenter des jeux du cirques modernes, où des maîtres du jeu connectés se battent en reconstituant des batailles du passé. L'idée avait déjà été esquissée au début des années 1970 par Pierre Boulle dans "Les jeux de l'esprit", mais Pierre Bordage lui donne une autre dimension, avec des personnages attachants et un grand sens des relations internationales. Ainsi Frédéric Alexandre, le "challenger" français du jeu doit-il affronter les champions américains, illustrant le rapport de force contemporain d'une Europe (et en son sein la France) qui peine à s'affirmer face à la puissance nord-américaine. De leur côté, les pays du Sud s'enfoncent entre mafia, trafics et triades; tout en rêvant avec naïveté de ce que l'Occident peut leur offrir derrière ses murs. L'intrigue est forte et bien menée, les dialogues et personnages très justes. On pourrait seulement indiquer un bémol dans la conception scientifique du jeu, même si cela ne gène guère la lecture générale. La relation n'est en effet pas toujours très claire entre Alexandre le maître du jeu "challenger" français et Wang (d'où le titre) un transfuge Chinois qui devient son champion sur le terrain. En effet, si Wang en tant que champion prend énormément d'autonomie pour conduire les batailles reconstituées contre les Américains, cela fragilise d'autant le rôle d'Alexandre en tant que maître du jeu, dont on finit par se demander s'il est vraiment aux manettes.