Surprenante découverte. En fait, c’est mon premier Charles. Je l’ai côtoyé au lycée, comme tout le monde. Il m’a bien fait chier, comme beaucoup d’autres. Comme quoi, la poésie, ça ne doit pas être contraint et forcé. Il y a de fortes chances que ça ne passe pas. Des textes très courts. L’éternité qui côtoie le profane. Certains ne font même pas une demi-page. Le ton est direct, à la première personne. La sylphide côtoie les mendiants. Dieu et le diable sont à table avec Socrate, et causent. Le chrétien et le païen mêlés. Les humains vont de plaisir en déplaisir. Pour oublier la Vie. La Mort. La fange avale tout. Baudelaire est bien moins désespéré ou dépressif qu’on veut bien le dire. Il est surtout lucide.


  Un mélange de rêverie poétique, d’anecdotes vulgaires, inventées ou recréées, par le feu de la fantaisie narrative de l’auteur. Lucidité crasse. Voire cruelle. Réflexion sur le beau. Qu’est-ce qui est beau ? Les nuages ou la boue ? Pour Charles, c’est les deux. Ou les trois. La beauté c’est le tout. Tu prends tout. Et nous sommes dans Paris. Et nous voguons de bars en tripots. Fumeurs de cigares, et vins et liqueurs, pour s’enivrer et oublier. Peintre de la vie moderne ? Ce terme me dit quelque chose…


   Une description précise des gens, des caractères, des vices, des caricatures. L’ennuie dans les grandes villes modernes. Un tableau de Toulouse-Lautrec, avec autant de réalisme, le génie du geste, et la force du symbole qui donne du sens, la métaphore jamais gratuite. Tout est très symbolique ici. C’est de la poésie urbaine, moderne, qui se promène sur le pavé, et ne se prend plus la tête. « Petits poèmes en prose », comme on dit. C’est peut-être ça la force. De la prose, mais poétique, et pas le contraire, qui serait une manière trop élitiste pour aborder de front le sujet. Tout le temps on sent le mariage contre nature entre la quête spirituelle, et les plaisirs charnels.


    Voilà une proposition originale, culotée, antiacadémique. Portrait de Paris, en pute flamboyante. Et portrait de l’auteur dans Paris. Oisif et fier. Sa ville, c’est une catin. La pauvreté côtoie la volupté, la famine, l’innocence.  « Les meubles ont l’air de rêver ».


   La beauté est partout. Donc. « Et puis un Spectre est entré ».


    Le passé est souvent convoqué, et ne sert jamais d’excuse nostalgique, ou de marchepied. Pas de message, seulement un crachat par terre. Pas de message d’utilité publique. Et le spectre, c’était un huissier qui vient le torturer au nom de la loi.


    La réalité profane, travestie par un regard de folie. L’auteur se moque des riches, des pauvres, de l’auteur lui-même. Une liberté, une écriture en marche. Qui donne l’impression de s’inventer sous les pas de l’auteur. Ecriture d’une désarmante simplicité, et facile à lire. Etonnement facile à lire, alors que c’est à entrées et sorties multiples. Des pages d’un cahier intime d’auteur. Pas si intime que ça. Comme pressé par le temps, Charles nous délivre son freestyle. La vie « moderne », la morsure de son héros égoïste et triste, et fier, qui arrive à nous faire rire de sa propre turpitude. Au détour d’une rue sombre, je me suis même retrouvé dans Orange Mécanique :


            Assommons les pauvres !   Texte  XLIX. Incroyable scène de la vie moderne ! Cinématographique.


  Et le temps qui te sourit, pour mieux t’engloutir, et te pourrir les chairs. Paris. Il l’a compris comme personne. Sa ville. Son suc. Son jus. Ce dont elle est faîte. Le vice et la corruption face au héros seul, qui se défend comme il peut. Sexe, opium et désillusion grandissante.


  Et il est temps de partir : Anywhere Out Of This world. En anglais dans le texte. Laisser toute cette merde ici et là. Et fuir…Et l’épilogue. C’est l’épitaphe de Paris. Hôpital, lupanar, purgatoire. What else ? dirait Georges Clooney.

Angie_Eklespri
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le 23 nov. 2016

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