Tout commence en 1932, par un essai de Paul Nizan intitulé « Les chiens de garde » où il fustige une élite intellectuelle jouant les bouffons auprès des puissants au mépris du petit peuple. Le rôle d'un chien de garde n'est-il pas de prévenir ses maîtres des dangers qui les guettent ? Dans cet ouvrage, on entrevoit déjà les manipulations médiatiques qui privilégiaient la vie intellectuelle à celle, bien réelle et bien pénible, de la France d'en bas. On pressent déjà que l'information va peu à peu être remplacée par la communication pour y perdre toute sa raison d'être. Lorsque l'ouvrage de Nizan sera réédité et aux éditions Agone, ce sera Serge Halimi qui en fera la préface. Peu de gens savent qui est Paul Nizan. Il était communiste et pour avoir quitté le Parti un moment où on ne le quittait pas, il a fini sa vie sali par ce dernier. Les compagnons de route, comme Jean-Paul Sartre, ne manqueront pas de lui apporter leur soutien jusqu'au bout. C'était un homme clairvoyant, honnête et surtout libre de penser le monde avec objectivité, s'émancipant du filtre stalinien comme dénonçant les filtres futurs qui allaient être érigés par notre société dite « de l'information ».

« Les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi est une prolongation légitime de cette dénonciation passée sous silence, tuée par l'hermétisme politique, oubliée des hommes. Serge Halimi que je connais pour avoir lu nombre d'articles de lui dans le Monde Diplomatique ainsi que par la lecture de son ouvrage édifiant intitulé « Le grand bond en arrière » est de cette espèce d'hommes qui savent regarder le monde tel qu'il est, et non pas un tel qu'on voudrait nous le montrer. Dans cet essai il casse le mythe du journalisme indépendant, de la neutralité journalistique ainsi que celui du pseudo droit à l'information qui ne saurait être entravé par quoi que ce soit.

Non, véritablement les journalistes ne sont pas des héros. Les campagnes visant à nous montrer ces reporters sans frontières tués aux quatre coins du monde pour nous informer ne sont pas pertinentes, car c'est omettre ce sur quoi tout le système repose. Il y a bien plus de morts dans le bâtiment que dans le journalisme, et je crois que les gens ont plus besoin d'un toit que d'informations. Surtout quand elle est cette espèce de bouillie pour chats qu'on nous sert tous les jours à 13 heures ou à 20 heures, dans la langue aseptisée et perverse de ceux qui prétendent être des élites.

Le journalisme en France qu'il soit de presse, de radio, de télévision est inféodé aux pouvoirs. Pouvoir des politiques, pouvoir de l'argent qui détient les organes de presse ou pouvoir, plus pervers encore, du libéralisme qui s'insinue dans les remarques de ces gens prétendument objectifs. En parcourant cet ouvrage, on se remémore les intervieweurs choisis par les hommes politiques pour les questionner, la privatisation de TF1, ces nouvelles chaînes privées, les empires Hersant, Dassault et consorts, les liens qui unissent les journalistes entre eux et les conflits d'intérêts de Mmes Borloo, Kouchner ou Strauss-Kahn, l'odieuse manipulation béni-oui-ouiste de l'ensemble des grands médias lors du référendum sur le traité constitutionnel européen, et la liste est encore long...

Je ne dirai pas tous pourris, cela serais trop facile. Mais c'est l'argent qui maîtrise la communication et donc l'information. On ne mord pas à la main qui vous nourrit. Comme il était méprisable Robert Hue quand il pleurait Jean-Luc Lagardère, l'heureux repreneur de l'Humanité. Mais il n'était qu'un exemple parmi tant d'autres. Il ne faut pas désespérer, le 29 mai 2005 que nous en a donné la preuve, les Français comprennent bien, sans pour autant dénigrer le rôle essentiel que doivent avoir les médias, qu'il faut savoir rester vigilant et ne point prendre pour argent comptant toutes les fables qui nous sont servies chaque jour.

45.000 auditeurs de plus pour l'émission « Là-bas si j'y suis » de Daniel Mermet, des ruptures de stocks pour des journaux comme le Monde Diplomatique ou Politis, des radios alternatives qui ne se contentent plus de transmettre le politiquement correct et surtout des associations et des citoyens qui veulent se réapproprier l'information pure et sans filtres... voilà là un beau message d'espoir, un bel hommage à Nizan, une belle revanche d'un peuple qu'on a voulu endormir pour mieux l'asservir. Un autre journalisme est possible, mais c'est à chacun de nous d'y prendre part.

Pour conclure, je voudrais remercier Axior, Axi-44, Jean-Michel, pour la conversation que nous avons eu, il y a quelques jours où je me suis fait le défenseur de la presse comme dernier rempart de la démocratie. Depuis j'ai lu Halimi et je me rends bien compte maintenant que les choses ne sont pas aussi simples qu'elles y paraissent, mais que c'est à nous tous de faire en sorte qu'elles changent pour que nous redevenions ont une vraie démocratie, si tant est qu'on ne l'ait jamais été, plutôt qu'une pâle réplique de cette Amérique de Bush, dirigée de fait par la Fox et Ruppert Murdoch. Je me répète mais un autre journalisme est possible...
Bobkill
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le 22 nov. 2010

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