Sade : les victimes n'ont que ce qu'elles méritent

C’est étrange de lire ce livre après avoir lu Juliette, du même auteur, qui en est bien éloigné. Et autant j’avais bien aimé Juliette pour le personnage, autant celui de Justine n'aide pas à apprécier le roman.
Dans Juliette, l’héroïne est forte, ambitieuse, et j’aime le jeu qu’elle mène pour toujours rester la plus infâme, celle qui aura l’idée la plus choquante afin de ne jamais être devancée (mais aussi de rester en vie). Dans Justine, l’héroïne choisit le voie de la vertu et ce malgré tous les obstacles et toutes les propositions qui rendent ce choix éprouvant et dangereux. Seulement, si au début on peut comprendre sa naïveté, on se rend vite compte qu’elle est complètement stupide.


Le souci, ce n’est pas que Sade fait de Justine une incarnation pleurnicharde de la vertu, mais que Justine semble chaque fois se jeter dans la gueule du loup. Elle est incapable d’apprendre de ses erreurs, et après s’être faite avoir trois ou quatre fois, on ne peut pas croire qu’elle ne soit pas plus méfiante, qu’elle soit toujours aussi surprise de ce qui lui arrive… on finirait presque par se dire qu’elle l’a bien cherché.


Ou plutôt, on se demande à quoi elle pouvait bien s’attendre en appelant à l’aide depuis sa prison celui qui l’a séquestrée et violée pendant des années, en dehors des propositions indécentes et du viol qu’elle récolte... Son expérience aurait dû lui apprendre à ne faire confiance à personne et à s'en référer uniquement à Dieu.


La fadeur du personnage principal oblige, l’intrigue principale se résume à Juliette se jetant encore et encore dans les ennuis, sans que les libertins sur qui elle tombe n’aient à faire le moindre effort pour la duper, ce qui rend forcément le tout répétitif.
Le roman a l’avantage d’être plus accessible aux âmes sensibles que Juliette (et probablement que les autres versions de Justine), mais ça reste très cruel, les détails en moins.
On a bien des discours sur les vertus et la moralité du libertinage qui viennent animer un peu l’histoire, discours auxquelles Justine répond évidement avec la mollesse qui la caractérise.


La fin vient nous confirmer que le projet du roman est bien de faire de Justine un martyr ridicule de la vertu, pour lequel on n'a pas d'empathie et de souligner la stupidité, l'aveuglement de tous ceux qui ne seraient déjà acquis au libertinage. En gros, pour Sade, il y a les libertins d'un côté et les victimes qui l'ont bien cherché de l'autre.
Honnêtement, je ne m’attendais pas à cette fin, parce que j’en avais vu une autre bien plus cruelle et magistrale*, mais sous couvert de justification morale du roman, l’ironie de cette chute le rend appréciable et fait que j'en garde un assez bon souvenir, même si mon avis était plutôt mitigé pendant la lecture.


édition Gallimard (folio classique) : 9782070461790


(*)


Dans cette version, Justine meurt par accident et l’auteur conclut en disant que si Dieu permet que des êtres souffrent tant sur terre, c’est qu’ils seront proportionnellement récompensés dans l’autre vie.
J’ai cru comprendre que dans une autre version, alors que Justine fuit les attaques de sa sœur et de M. de Norpois en courant sous l’orage, celui-ci jure qu’il se convertira au christianisme si la jeune fille en réchappe, sur quoi elle meurt foudroyée.

Trakheia
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le 27 sept. 2020

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