C’est la première fois que je lis du Bernanos. Cet auteur ne m’attire pas particulièrement. Royaliste (même s’il a finalement rompu avec Charles Maurras), hostile au principe même de la démocratie et catholique un peu trop fervent, il parait maintenant très anachronique. En vérité, c’est Lydie Salvayre qui m’a incité à tenter de lire "Les grands cimetières sous la lune", avec les nombreuses références qu’elle fait dans son roman "Pas pleurer".
On sait que, au début de la guerre civile espagnole, Bernanos s’est trouvé - presque par hasard - à Majorque. Là, les nervis de l’extrême-droite associés aux putschistes du général Franco ne font en 1936 qu’une bouchée de tous ceux qui avaient (ou étaient suspectés d'avoir) des sympathies pour la République. Bernanos fut-il un témoin direct de ces abominables assassinats de civils ? Il ne semble pas - et pourtant il insiste: les faits sont de notoriété publique. En tout cas, il est clair que les pages où il décrit ce terrible "nettoyage" sont empreintes de sincérité. Mais ce qui le révolte encore plus, c’est la complicité active de l’Eglise espagnole et de larges portions de l’opinion publique européenne, française en particulier. Hurlant avec les loups, ces acteurs politiques déclarent qu’il s’agit d’une nécessaire croisade contre le Mal représenté par la "canaille marxiste".
En publiant cette dénonciation, Bernanos se retrouve en position délicate: il s’oppose violemment à ses habituels alliés politiques sans pour autant se rallier à la gauche, bien évidemment. On sent que cette posture est très compliquée pour lui; son humeur est chagrine et il n’est pas en position de proposer quoi que ce soit. Son ton persifleur, son écriture alambiquée, sa langue trop travaillée et ses considérations compliquées et fastidieuses semblent témoigner de sa grande gêne. Idem, dans la première partie du livre, en ce qui concerne les harangues mordantes dénonçant longuement les « imbéciles ». En fait, ces imbéciles, je ne comprends pas vraiment qui ils sont...
De fait, le livre - trop incrusté dans son époque - me semble très "daté", et beaucoup d’allusions échappent au lecteur lambda du XXIème siècle, même s’il a une certaine connaissance de l’Entre-deux-Guerres. Mon avis global, c’est que le livre est trop long, éloigné de notre sensibilité et presque illisible aujourd'hui. Malgré tout, je reconnais qu'on y trouve quelques beaux passages. Et Bernanos démontre sa lucidité quand il a le pressentiment d’une future guerre dont il devine qu’elle sera abominable (… ce sera la seconde guerre mondiale !).