Par une ruse, l'histoire a presque oublié Robert Penn Warren. Pourtant avec Les fous du roi il signe un roman d'une ampleur immense, d'une beauté délicate et d'une ambition un peu folle, un roman total en somme ; un genre quelque peu disparu aujourd'hui.


Roman sur la connaissance, le mal, l'Histoire le destin. Sous le prétexte d'un roman sur la politique, l'auteur nous offre une oeuvre morale qui reste dans le temps. L'intrigue prend son temps pour se poser, tissant sa toile, multipliant les digressions, perdant le lecteur dans les méandres de l'action et la beauté de son style. Le héros joliment nommé Jack Burden est pris ici dans un tourbillon, d'où il ne sort pas. Chargé de suivre Willie Stark- dont le modèle est Huey Long, politique américain des années 30-, il va être au cœur d'une fabuleuse histoire, pleine de rebondissements où se côtoient les histoires d'amour, le passé.. On se rend bien vite compte qu'il est témoin d'une histoire qui le dépasse, dont il n'est que le pantin.
Rédigé en 1946, ce texte saisit l'histoire en train de se faire, dont l'humain n'est qu'un esclave. L'homme moderne est dans un monde sans dieu, sans repère, seul face à la souffrance. Il est condamné à errer, ne sachant que peu de choses sur ce qu'il est et ce qu'il va devenir. Dans un monde brisé où le mal domine, chacun y cherche sa place. Tous les portraits présents dans le livre sont faits de chair, et de sang, rarement on aura vu des personnages aussi bien construits, avec un caractère aussi fin, des traits aussi délicats.


Puisant dans la grande tradition romanesque, Penn Warren livre ici un portrait saisissant sur une époque creuse. Remplie d'hommes sans qualité, elle n'est que mensonges, faux semblants. Certains tirent partie de ce fait - et c'est le cas de Stark- d'autres en souffrent- c'est le cas du protagoniste qui continue à chercher la vérité, le beau et le bien. C'est le seul point fixe d'un roman en constant mouvement : la recherche de la vérité par Jack Burden. Mais cette quête est illusoire. Alors, bien sûr, une cause est encore plus belle quand elle est joué d'avance, mais tout de même. Burden ne connaît pas son époque, il ne comprend pas que la fin est tout, et que le développement n'est rien; lui le spécialiste de l'histoire médiévale.


Quel espoir reste-t-il, à partir de là ? Presque aucun d'après Penn Warren. L'homme s'agite sur la scène d'une Histoire qui, au mieux, acceptera de garder la trace de nos paroles et de nos actes. C'est peut-être pour cela que Burden a choisi cette discipline. Pour pouvoir reconstituer, morceau après morceau, cet immense tableau que constitue la destinée humaine.



Citation
J’essayai de démontrer que, si le passé et sa substance deviennent un fardeau inacceptable, il ne reste plus pour l’avenir que désespérance, car l’un dépend de l’autre, et, dès qu’on peut accueillir le passé, l’avenir s’illumine aussitôt d’un rayon d’espoir, car c’est uniquement avec le passé qu’on peut forger l’avenir.



Peur-être que la seule solution est de vouloir revenir à une pureté originaire. Mais cela apparaît bien vite comme étant trop douloureux, un fardeau bien trop difficile à porter.


Ce livre somptueux, à mi-chemin entre polar et roman politique se livre ici au fil des pages. Basé sur un style superbe qui alterne passages secs et ceux plus poétiques, il emporte le lecteur. Il se mérite, se déguste et se dévoile au fil des pages. Peut-être peut-on être un peu déboussolé par cette caractéristique, il faut surmonter cette peur. Certes on ressort de cet ouvrage fatigué et un peu pessimiste, mais on est aussi heureux d'avoir pu lire un tel ouvrage. Un roman à ne pas manquer, à classer à côté des grands ouvrages de romanciers du sud des USA.



Citation
Peut-être était-ce que le seul moyen de discerner la valeur d'une connaissance : le sang qu'elle coûte.


Jack-Burden
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le 25 juin 2016

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