Je me suis procuré ce roman à tout hasard lors d’un passage en bouquinerie sans idée d’achat particulière, par attirance pour son titre et sa couverture, sans rien connaître de son auteur ni de son contenu ; et me voilà, après lecture, ramenée à cette sensation première d’une énigme à (re)découvrir, avec l’impression de ne pas l’avoir tout à fait comprise, sous l’effet d’attentes ou de préjugés qui, en réduisant ma fenêtre de lecture, m’auront peut-être fait passer un peu à côté du propos de l’oeuvre. Je ne saurais dire si je partais avec une idée trop complexe ou trop simple. Et cependant, c’est une œuvre dont j’ai apprécié sans réserve la beauté et à laquelle je ne trouve personnellement pas de reproche particulier à faire.


Il y a bien une histoire. Le narrateur, individu travaillé par la tristesse et la solitude qu’il trompe une fois par semaine avec son amie Kati, croise une jeune femme dans la rue et entre par hasard en relation avec un étranger qui s’avère être le supposé frère de celle-ci. Ainsi se met en place une sorte de jeu subtil et mystérieux de rivalité, de défiance et de rapprochement, au sein duquel la jeune femme, sur laquelle le narrateur projette sa solitude, est donnée comme un objet difficile à saisir, incarnation du silence même. Traversée d’une fenêtre opaque jusqu’à la désillusion finale. Le narrateur était moins le héros de son aventure qu’un médiateur entre d’autres pions joueurs. Dès le commencement, la narration, qui recèle quelque chose d’automnal et de brumeux, semble hantée par un air de maladie, par la fièvre des ruines humides, et par l’eau qui menace de remplir les poumons.


Ceci est le squelette, qui s’incarne au sein de toute une poésie et d’une langue qui a quelque chose de captivant. Le lecteur plonge dans une subjectivité et son monde, fait du regard, des réflexions et des destinations d’un être autour duquel apparaissent et disparaissent des personnes (personnages ?) sans nom, hormis pour une Kati qui fait office de figurine de bronze stable et sans surprise. L’environnement est ainsi déterminé et déterminant d’une manière singulière : objets, formes et matières gagnent en pouvoir d’influence, un geste d’apparence anodine peut modifier le cours des choses et provoquer une aventure.


Accès à une sensibilité et à ses mécanismes, l’œuvre dit de quoi vit un être, quels sont les bruits et les figures de ses coulisses intimes. Cela crée une sorte de bulle scaphandrière où l’on peine parfois à distinguer ce qui relève des faits de ce qui tient de l’imagination du narrateur (ou du lecteur), qui est un être de chair et d’os de qui est un double, fantôme momentané. Le texte est notamment marqué par les va-et-vient constants et abrupts entre le fil conducteur du récit et les remémorations qui s'y rapportent de façon plus ou moins subtile, comme des fonds cachés de tiroirs. Ce dispositif sans transition, déroutant de prime abord, ne m’a cependant pas semblé artificiel ni maladroit, et participer à l’exposition brute mais concise et non maniérée d’une ébauche de conscience et de la façon dont un être s’anime et procède face à son environnement et aux rencontres.


Au service d’un propos relativement obscur, l’écriture, belle et claire, transparaît sans fioriture ni gratuité, tout en rondeur et comme relevant du naturel d’une confidence. Il ne s’agit pas de la dissection verbeuse d’un psychisme mais plutôt d’un gracieux effet de loupe sur les pensées et l’imagination d’un être.


Les Fenêtres murées tend à l’onirique et comporte une part de kafkaïen sans sacrifier à l’absurde, qui n’est pas son moteur essentiel. L'œuvre m’a encore évoqué, quoique les deux soient très différentes l’une de l’autre, Le Golem de Meyrink, dans la manière de traiter les espaces et d’instiller une étrangeté, ici beaucoup plus légère.


C’est un livre que je recommande à qui apprécie les narrations poétiques qui font la part belle à la langue, à l'intériorité et aux traits méditatifs. Pour moi, il appelle à la relecture, peut-être ainsi éventuellement à une appréhension plus juste, mais essentiellement pour le plaisir de retrouver ce texte agréable dans sa superposition de clair et d'obscur.

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le 23 oct. 2022

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le 23 oct. 2022

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