La trame est simple : un physicien de génie (Shevek), qui vit sur une planète aride (Anarres) habitée par une communauté régie par l'anarchie (absence d'état, d'autorité, liberté individuelle) se rend sur la planète voisine, aux ressources abondantes et dont la société ressemble furieusement à celle de la terre des années 70 (Urras, dénomination qui évoque une sorte de mix entre USA et USSR), plus précisément dans l'état d'A-IO dont le régime est un capitalisme autoritaire proche de celui d'outre-atlantique et dont l'ennemi est le Benbili, dont le régime est proche du stalinisme. On verra d'ailleurs les deux pays s'affronter par procuration à l'occasion d'une guerre qui pourrait faire penser à celle du Vietnam.

Le roman est construit sur une alternance de chapitres, un pour Anarres, un pour Urras. On suit ainsi alternativement la vie de Shevek sur Anarres, depuis son enfance jusqu'à son départ (à quarante ans) vers Urras et son séjour sur Urras. Tout ça n'étant pas du coup chronologiquement linéaire, ce qui pourrait être mis en relation avec le fait que Shevek travaille sur une sorte de théorie universelle de la simultanéité. C'est du Le Guin : donc, ce n'est pas trépidant, pas de rebondissements à chaque fin de chapitre. C'est au contraire fouillé, intimiste et intérieur car centré sur les pensées et réflexions de Shevek. Réflexions essentiellement sociales, bien plus que scientifiques malgré son métier.

D'ailleurs, il ne faut pas s'y tromper. La S.F n'est qu'un décor pour ce qui est avant tout une fable politique. Les dépossédés du titre du bouquin sont - comme on s'en doute - les habitants d'Anarres qui ne possèdent que leur liberté (il n'y a pas de propriété privée sur la planète). Planète dont la société est décrite (a été imaginée par l'autrice) avec force détails relatifs bien sur à son organisation sociale, mais aussi aux doutes et aux difficultés de ses habitants. Et la tentation du pouvoir est toujours là, qui plane comme une ombre menaçante et qui contraindra Shevek à l'exil. La société d'Urras est évidemment également décrite, mais surtout du point de vue de ses classes dominantes et de sa communauté scientifique. C'est moins surprenant pour le lecteur : normal, il sait à quoi ça peut ressembler.

Et, si la lecture peut sembler un peu lénifiante au début, je me suis laissé peu à peu happer par la toile patiemment tissée par Ursula Le Guin, pour en sortir avec l'impression d'avoir lu un chef d’œuvre d'intelligence et de lucidité.

Marcus31
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Lu en 2024

Créée

le 16 mars 2024

Critique lue 4 fois

1 j'aime

Marcus31

Écrit par

Critique lue 4 fois

1

D'autres avis sur Les Dépossédés

Les Dépossédés
LibertaiPunk
7

Merci

Ursula le Guin a produit un travail énorme en créant de toute pièce un nouveau monde, dans lequel on trouve une planète anarchiste. La société anarchiste décrite est réaliste car l'auteur n'a pas ...

le 20 mars 2011

7 j'aime

Les Dépossédés
Z3D
10

Critique de Les Dépossédés par Z3D

J'espère que tous les bacheliers de cette année avaient lu ce livre avant l'épreuve de philosophie (même si j'en doute). Si tel était le cas, ils auraient été avantagés pour la dissertation:...

Par

le 4 sept. 2015

6 j'aime

1

Les Dépossédés
Charybde2
9

Une utopie ambiguë : chef d'œuvre de 1974 prouvant toujours l'actualité de la réflexion politique...

Consacrée par les prix Hugo et Nebula pour "La main gauche de la nuit" en 1969, passionnante mise en roman du rôle du genre et du sexe dans la construction sociale, Ursula K. Le Guin, plus que jamais...

le 22 févr. 2012

6 j'aime

Du même critique

Papy fait de la résistance
Marcus31
10

Ach, ce robinet me résiste...che vais le mater

Ce qui frappe avant tout dans ce film, c'est l'extrême jubilation avec laquelle les acteurs semblent jouer leur rôle. Du coup, ils sont (presque) tous très bons et ils donnent véritablement...

le 2 sept. 2015

36 j'aime

5

Histoire de ta bêtise
Marcus31
10

A working class hero is something to be

Un pamphlet au vitriol contre une certaine bourgeoisie moderne, ouverte, progressiste, cultivée. Ou du moins qui se voit et s'affiche comme telle. On peut être d'accord ou non avec Bégaudeau, mais...

le 15 avr. 2019

32 j'aime

7

Madres paralelas
Marcus31
5

Qu'elle est loin, la Movida

Pedro Almodovar a 72 ans et il me semble qu'il soit désormais devenu une sorte de notable. Non pas qu'il ne l'ait pas mérité, ça reste un réalisateur immense, de par ses films des années 80 et du...

le 14 déc. 2021

25 j'aime