Elles sont comme enfermées à demeure, mère et fille demeurées, dans cette petite maison d'objets utiles et de rangements pratiques, animées seulement de quelques gestes mécaniques, instinctifs. L'intérieur de leur tête est sombre, l'intérieur de leur tête est cousu d'étoiles filantes, mais c'est un ciel qu'elles partagent et que personne d'autre ne peut voir. Elles y sont bien, elles s'y tiennent chaud. Dehors, la vie passe et elles n'en savent rien. 
La mère, on l'appelle la Varienne, ou encore l'idiote du village. La petite fille, c'est Luce. Elles partagent tout, chaque chose de la demeure, les murs à face unique, le lit. Mais ce cloisonnement ne peut durer éternellement. La petite Luce doit aller à l'école, c'est obligatoire, et la stupidité n'est pas héréditaire, Mademoiselle Solange, l'institutrice du village ne peut le croire, ne veut le croire, et ainsi décide-t-elle de prendre en main la fillette. Un bouleversement qui va fragiliser l'harmonie brute qui les maintenait perpendiculaires. Tout va chanceler, la faille est ouverte, le marteau a frappé, là, il tremble encore, éducation !
Des phrases courtes et incisives. Et de grands espaces vides entre elles. Un incipit plus ou moins alléchant, mais une poésie épurée qui malheureusement se gâte très vite, tombe dans la lourdeur et le misérabilisme. Les bonnes trouvailles sont rares, et les meilleures sont répétées à l'excès. Il y a cet artifice en bord de scène : une machine à fumée. Je tousse beaucoup et je ne vois pas grand-chose.
Chaque phrase est une pose, tendre ou charnelle, mais nébuleuse toujours, et chaque pose ressemble à la précédente. La fumée blanche est partout, elle recouvre les corps nus. Effets de style, rubans de soie, obscures enluminures. Et revenir incessamment à la ligne. Silence, partout silence, virgule, silence contradictoire de l'écriture dont la mission originale semblait être de remplir les vides. Contradiction qui ne fait pas même écho à le court échec de l'institutrice, puisque celle-ci, contre toute attente, remporte sa victoire sur l'obscurantisme.
Hasard de l'écriture, petit doigt virgule. Extensibilité du vide (aux allures d'infini ; mais en réalité le roman ne fait que 80 pages ; il aurait pu tenir sur trois et avoir le charme des petites choses mais tant pis.)


Des mots charriés dans les veines. Les sons se hissent, trébuchent,
tombent derrière la lèvre. Abrutie. Les eaux usées glissent du seau,
éclaboussent. La conscience est pauvre. La main s’essuie au tablier de
toile grossière. Abrutie. Les mots n’ont pas lieu d’être. Ils sont.



Critique intégrale sur mon site

Julien_Le_Minous
5

Créée

le 16 févr. 2016

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Paon Démon

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