C'est au milieu des voluptés que l'on se délecte par des supplices

Les voilà achevées ces 120 journées de Sodome, on vient d'y mettre fin en me laissant un goût d'inénarrable saletés et de meurtres dans le fond de la gorge. Comment trouver les mots à présent... Je ne peux pas dire que j'ai aimé, pour autant l'aspect sadique de ma personne s'est retrouvé comblé outre mesure. Éprouvé plus que compliqué me poussant à ne recommander à quiconque cette lecture au risque de ne plus y voir qu'un épanchement grotesque de perversions incompréhensibles du commun. La chose mise au monde par Sade n'est guère qualifiable en des termes élogieux. La lecture s'avère souvent pénible, on la termine d'ailleurs pas sans difficultés. Le plaisir survient régulièrement toutefois, mourant dans une morale qu'on se doit d'appliquer si l'on souhaite ne pas être catalogué comme la dernière des ordures. Néanmoins, la morale on finit par s'en tamponner sévère au rythme du récit. Elle est, certes, bien belle sur le papier mais dans les faits il faut se rendre à l'évidence qu'aller au bout de l'expérience revient à y chercher quelque chose, dans le cas contraire nous le laisserions de côté sans plus jamais y retoucher. Mon ressenti est étrange, donc, mêlé d'horreur, de dégoût et d'une excessive composante érotique. Ce livre est un autel consacré à la plus infâme des lubricités, ne charmant jamais pour ne laisser que dans la torpeur et l'effarouchement le plus secret. Bien qu'incomplet, le récit remplit amplement son contrat d'œuvre la plus subversive, toutes époques confondues, rien que ça, je vous assure. Voilà un avis personnel très discutable, bien entendu.



Il faut savoir prendre son parti sur l'horreur de tout ce qui fait bander, et cela par une raison bien simple : c'est que cette chose, telle affreuse que vous vouliez la supposer, n'est plus horrible pour vous dès qu'elle vous fait décharger ; elle ne l'est donc plus qu'aux yeux des autres...



Les 120 journées de Sodome auraient pu, pour d'innombrables raisons, ne jamais arriver jusqu'à nous. De l'histoire de sa conception jusqu'à sa publication en passant par les pertes et autres coïncidences de l'existence, c'est presque un miracle de pouvoir en tenir entre les mains une version, quoique inachevée. C'est à la prison de la Bastille où il est prisonnier que Sade écrit sur des bouts de papier (collées ensemble sur plus 12 mètres de long) en 37 jours son œuvre sans pouvoir la terminer, des suites d'un transfert. Après la prise de la Bastille, le manuscrit est perdu, puis retrouvé dans les décombres, bien plus tard. On le revend, on le publie une première fois en 1904 sous un autre nom pour s'en attirer le mérite. Ce ne sera qu'à partir de 1935 que le nom de Sade va redorer (tout est relatif) son blason avec une nouvelle publication. Il en aura fallu un temps et une chance infinie pour y avoir accès... Est-ce réellement une bonne chose ? La question se pose.


Notre histoire, puisqu'il faut bien la présenter, n'a rien de bien charmante, on n'en finira pas de le dire. Enfermés dans un imprenable château au milieu de nulle part, s'apprête à se dérouler le libertinage le plus absolu en les personnes du Duc de Blangis, de l'Evêque son frère, du président de Curval, du financier Durcet, de leurs victimes et de leurs complices. En tout, huit jeunes garçons et huit jeunes filles de 12 à 15 ans sont enlevés à leurs familles pour souffrir les passions des quatre Maîtres durant 120 journées libertines. En plus des seize enfants, on dénombre divers autres personnages comme les huit Fouteurs, chargés de la sodomie active, quatre vieilles à l'hygiène déplorable, plusieurs servantes et cuisinières ou encore quatre historiennes ; des femmes d'une grande expérience dont le rôle sera de rapporter oralement l'ensemble des perversions rencontrées dans leurs vies de débauche.


Ce qu'il y a de sympathique, si j'ose dire, dans les écrits de Sade c'est la montée crescendo de l'ignoble. Si, en effet, les premières journées et les premières histoires sont contées avec une légèreté romancée (l'urine n'a rien de bien choquant et la pédophilie deviendra malheureusement d'une grande habitude), on tombe rapidement dans ce qu'il y a de plus pénible à savoir la scatophile, le vomi (en tant qu'émétophobe je vous laisse imaginer quelle fut ma joie), les châtiments corporels, les tromperies sadiques et enfin les meurtres sauvages, le tout dans un style étonnamment fleuri d'une myriade de détails plus ou moins ragoûtants. L'écriture de Sade s'avère loin d'être des plus mauvaises sans pour autant être transcendante, juste de quoi distiller l'effet de boule au ventre chez le lecteur assidu.



Viens, putain, lui dit-il, quand on a gobé le poisson, il y faut mettre de la sauce ; elle est blanche, viens la recevoir.



Il y a pléthore d'éléments qu'on pourrait analyser en long en large et en travers mais je ne vais me concentrer ici que sur deux d'entre eux. D'une part, ce qui ressort des nombreux échanges philosophiques entre les Maîtres du château c'est la haine du catholicisme, de la croyance, de la charité et de la fausse bienveillance qu'inspire la dévotion. Dieu n'est qu'un prétexte à la haine de l'idée de bienséance dans l'émotion, ce qui importe ici est d'être plus heureux qu'autrui, or personne ne pourrait être supérieur à un hypothétique Dieu. De la supériorité, de la suprématie sur la faiblesse se crée le bonheur et la satiété. Sans inégalités point de jouissance. Dans une autre mesure ce qui va être abordé est la violence à l'égard de celles qui donnent la vie. Si pour les Maîtres la mère est un être exécrable méritant mille tourmentes, les histoires transcrites par Sade évoquent, elles aussi, la femme et sa progéniture comme le fruit d'une malice. Régulièrement, la maternité nous est contée lors de sombres affaires avec la volonté de faire passer un message purement nihiliste au lecteur. La famille, l'amour, tout cela n'a plus aucun sens ici.



Les conquérants, les héros, les tyrans s'imposent-ils cette loi absurde de ne pas oser faire aux autres ce que nous ne voulons pas qui nous soit fait ?



L'un des gros points noirs du livre ne se retrouve pas dans ses propos, aussi durs soient-ils, non, le soucis est évident : c'est inachevé. Sur les quatre mois annoncés, seul un est entièrement rédigé, les autres n'étant que plans et résumés divers. En soi, en connaissant l'histoire du manuscrit, la chose se comprend aisément, d'ailleurs l'ouvrage aurait bien fait mille pages s'il avait été complet. Ce qui chagrine par là c'est que Sade passe une partie de la rédaction du premier mois à rappeler que certains détails ne pourront être présentés de suite, qu'il faut attendre, encore et toujours. C'en est frustrant quand on sait que ce qui est annoncé n'arrivera que partiellement. C'est bien dommage car le potentiel était là...


Au fond du fond des enfers, il n'y a d'espoir que dans l'illusion d'un trépas rapide et indolore, les protagonistes le comprennent à leur dépend. La mort s'aborde alors comme un jeu auquel nous participons passivement dans le voyeurisme. La déchèterie humaine y est parfaitement décrite sans omettre un seul point d'encre, n'y comptez pas. Le but de pareille histoire ne pourrait totalement être de plaire si l'on souhaite bien se faire voir dans les réunions mondaines. Son but est philosophique, pulsionnel, il met face à ce qu'il y a de pire en ce monde pour y chercher de la jouissance. Là où le dégoût règne, naît l'utilité. Non pas l'utilité d'une peinture aux formes et à la technique parfaite mais l'utilité de cet éventail de perversions et dans la compréhension de celles ci. Comme l'ayant dit précédemment je ne conseille absolument pas ce livre, pourtant n'est plus indispensable que lui.

Fosca
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le 24 nov. 2016

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Fosca

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