Le Viking qui voulait épouser la fille de soie par leleul

Les lecteurs assidus de ce blog (j’ai le nom des meneurs) connaissent mon intérêt pour les sagas et l’aventure viking. Le roman de Katarina Mazetti ne pouvait donc pas rester longtemps dans ma pile à lire. Si l’on ajoute les retours positifs de sources appréciables, Le Viking qui voulait épouser la fille de soie semblait même afficher un faisceau d’indicateurs très encourageants. Bonne pioche dira-t-on sans ambages et chichis. Sang mêlé, traduction plus conforme au titre original et à l’esprit du roman, se révèle effectivement une lecture très recommandable, dont l’intrigue et le souci de vraisemblance ne peuvent que convaincre l’amateur de roman historique.


L’histoire des hommes du Nord se réduit très souvent à leurs exploits maritimes et à leurs entreprises de colonisation outre-mer. On retient également leur légende noire, entretenue à dessein par les clercs chrétiens, celle de barbares avides de sang et d’or, débarqués sur le rivage pour ravager villes et monastères.


Sang mêlé s’attache à déconstruire cette image réductrice du viking. Le roman porte son regard vers les humbles, petit peuple de paysans, d’artisans, de charpentiers de marine, hommes libres et esclaves y compris. Il s’intéresse également à un aspect de l’aventure viking méconnu dans nos contrée, mettant en lumière les Varègues, autrement dit les peuples suédois, grands voyageurs à l’origine de la naissance des principautés rus’ de Kiev et Novgorod. Le roman rappelle enfin que les Normands étaient avant tout des commerçants avisés, n’hésitant pas à troquer la hache contre la balance si les circonstances l’exigeaient.


Avec Sang mêlé, Katarina Mazetti se focalise sur la région du Blekinge, au sud de la future Suède, au Xe siècle. Une terre pauvre, entre mer Baltique et collines boisées, aux rivages menacés par les raids de piraterie. Dans l’archipel situé à son extrémité, Säbjörn et sa maisonnée vivent dans une ferme laissée un tantinet à l’abandon. Aisément reconnaissable à sa lèvre entaillée, lors d’un combat contre des pirates dans ses jeunes années, le bonhomme se révèle d’un tempérament colérique, surtout depuis la disparition mystérieuse de sa femme. L’été, il rejoint son chantier où il répare et construit des knörrs, contribuant à sa réputation de charpentier émérite. Il laisse ses deux fils, Svarte et Kåre, à la garde de ses esclaves et de la völva, sa belle-sœur. Rigide et intraitable avec Svarte, il se montre plus tendre avec son fils cadet. De quoi nourrir le ressentiment de l’aîné. Des guerres fratricides sont nées pour moins que cela. Les deux frères ne tardent d’ailleurs pas à prendre la mer, l’un vers l’ouest, l’autre vers l’est, pour fuir la violence latente de leur milieu.


Plus loin, au-delà de la Baltique, Chernek Kuritzev a fait fortune dans le commerce des esclaves et des soieries. Son fils Radoslav est un proche du prince héritier de Kiev, et sa fille semble promise à un bel avenir. Mais, le destin est capricieux. Du jour au lendemain, le frère et la sœur perdent leur vie dorée et sont contraints de rallier le Nord, en compagnie d’une troupe de marchands Varègues.


Sang mêlé fait immédiatement penser aux sagas nordiques, ces récits familiaux empreints de tragédie et sous-tendus par la vengeance et le destin. Pourtant, si le roman puise sa substance dans cette matière, ses ressorts s’en écartent assez rapidement. Les dieux et le fatum sont en effet les grand absents de ce récit, l’auteur préférant souligner la liberté des personnages dans un monde, certes soumis aux croyances, mais où la religion apparaît comme un outil de manipulation. Il se distingue aussi des sagas par l’attention portée aux personnages féminins et au quotidien des habitants. Les guerriers sont laissés de côté, apparaissant au mieux comme des soudards ignorants, au pire comme une menace. Quant aux rois et seigneurs, Katarina Mazetti ne s’embarrasse pas de précautions oratoires en portant sur leur rôle un regard dépourvu d’idéalisme.



« Mais un roi, qu’est-ce réellement ? Quelqu’un qui exige de toi de
l’or et de l’argent et en contrepartie promet de te défendre contre
des ennemis ? Des ennemis, qui le sont peut-être devenus parce qu’il a
essayé de soumettre leur pays ? À quoi servirait un tel roi ? »



Pour autant, Katarina Mazetti ne verse pas dans l’angélisme complet. Elle dépeint une société esclavagiste, dominée par des clans influents, en proie aux superstitions. Et même si les femmes jouissent de plus de libertés que chez les chrétiens, elles restent cependant soumises à leur mari.


Sang mêlé se révèle donc un récit malicieux, idéal pour découvrir le monde scandinave et faire un sort à quelques idées reçues sur les hommes du Nord. A ce propos, dans une postface détaillée, destinée à ceux qui aiment l’Histoire, elle livre d’ailleurs ses sources et explicite ses choix romanesques. Avis aux amateurs.


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leleul
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le 4 sept. 2016

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