Le Verdict
7.3
Le Verdict

livre de Franz Kafka (1913)

Georg Bendemann réfléchit à sa vie en écrivant une lettre à un ami d'enfance, qui dirige une affaire à Petersbourg. Celle-ci périclite. A leur dernière rencontre, il semblait malade et s'acheminer vers un célibat définitif. Au contraire, depuis deux ans et la mort de sa mère, Georg a beaucoup développé le magasin familial. Il vit avec son vieux père, reclus dans une pièce de l'appartement, qu'il relègue à un rôle secondaire au magasin. Il vient de se fiancer avec une jeune fille d'une famille aisée.


En voulant prendre soin de son père, Georg se dispute avec lui au sujet de l'existence de l'ami de Russie. Puis cela dégénère. Le père accumule les reproches au sujet de la mère ("Tu as souillé le souvenir de ta mère") et de la fiancée ("c'est parce qu'elle a retroussé ses jupes comme çà, cette horrible dinde"). Ses injonctions sont contradictoires. Il prétend contrôler la vie intime de Georg ou même lui interdire la sexualité. En même temps, il l'accuse d'infantilisme et d'immaturité : "Il t'a fallu du temps avant que tu ne te décides à mûrir ! Il a fallu que ta mère meure".


Autre contentieux, le père sénile refuse de céder sa place au magasin : "Le plus fort, c'est toujours moi, et de loin !" Le travail du fils est un succès commercial, mais empiète sur celui du père, qui se rebiffe. Conscient de la diminution de ses facultés, il multiplie les insultes contre Georg : "mon lardon", "pauvre imbécile" ou "un être diabolique".


"Le Verdict" préfigure la "Lettre au père", écrite sept ans plus tard en 1919. On y retrouve des thèmes autobiographiques : le conflit avec le père, le choix douloureux entre le mariage et le célibat, la soumission à la loi,... Différence notable, la mère de Kafka lui a survécu, a joué un rôle modérateur entre Franz et son mari. Dans "Le Verdict", la mort de la mère prive les mâles d'une médiatrice apaisante, les laisse face à leurs instincts agressifs. Chez la mère, l'amour pour le fils est plus fort que la haine. Chez le père, la haine pour le fils est plus fort que l'amour. Ce concurrent plus jeune veut saper son autorité et le détrôner...


L'interprétation de l'histoire - comme souvent chez Kafka - est complexe et délicate. Pourquoi Georg obéit-il immédiatement à la sentence paternelle ("Je te condamne en cet instant à périr noyé") ? Est-ce un aveu de culpabilité face aux reproches de son père ? Georg est-il incapable de se défendre contre ses accusations ? "Mon père est resté un géant", reconnaît-il. Incapable de révolte, le fils obéit à la parole paternelle comme Abraham obéit à Dieu qui lui ordonne de sacrifier son fils Isaac. Certes Abraham ne l'égorge pas car Dieu retient son bras. Mais dans la famille Bendemann, Dieu est absent et la mère morte ne peut retenir la malédiction paternelle.


La loi paternelle est claire : "Chez moi je commande et tu obéis. Quand tu seras chez toi, tu feras ce que tu veux !" Georg connaît la règle. Que son père occupe une chambre aussi sombre lui donne mauvaise conscience. Dans l'appartement Georg n'est-il pas un parasite ? Et Georg n'a-t-il pas fait une sorte de coup d'état contre le fondateur du magasin ? Une libération véritable serait de quitter le logement parental, vivre en adulte et fonder un foyer. La sentence de mort du juge patriarche sonne comme un rappel à la loi.


Cette parole capitale semble priver Georg de libre arbitre. Il agit en fils soumis sous l'emprise d'un enchantement maléfique ou d'une hypnose. Ses dernières paroles sont celles d'un fils exemplaire : "Chers parents, je vous ai pourtant toujours aimés". De la dernière phrase du "Verdict" : "A ce moment là, la circulation sur le pont était proprement incessante." (ou "littéralement folle", selon une autre traduction), Kafka a donné une interprétation à Max Brod : "Sais-tu, lui dit-il, ce que signifie la phrase finale ? J'ai pensé en l'écrivant à une forte éjaculation."

lionelbonhouvrier
8

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le 7 mars 2020

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