Le Tournant
8.2
Le Tournant

livre de Klaus Mann ()

Le Tournant court des années d'enfance depuis avant la Première Guerre Mondiale, jusqu'aux années ivres d'une époque neuve, se remettant à peine du coup de massue que fut la vague totalitariste-réactionnaire de la fin des années 30. Klaus Mann ne survivra pas à ces temps, emporté dans le sud de la France par ce même suicide qui l'unit à Crevel et Zweig - inconnu dans son pays comme la plupart des écrivains de l'émigration et retombé sous l'emprise de la drogue.

Le narrateur omniscient du Tournant semble souvent ré-écrire l'histoire comme s'il en avait d'avance su les mouvements. Tant mieux ! C'est à le lire moins l'intimité d'un homme que l'on recherche que le témoin d'une Allemagne cultivée, qui passa sans trop la voir au travers de la crise de Weimar pour se retrouver face à l'impensable : le déformation de tout ce qu'elle jugeait authentiquement germanique (autant dire : ouvert sur le monde) au profit de l'image brutale et odieuse qu'en diffractait le national-socialisme. Les Mann sont partis, là où les Strauss sont restés. Déchus de leur nationalité, ré-implantés aux Etats-Unis, où s'organise une résistance de l'extérieur. On découvre encore sous la plume une brin complaisante de Klaus cette immigration forcée, qui allait ensemencer la culture américaine comme aucune ne l'avait jamais fait.

Mais ce sont aussi les années d'entre-deux guerres, la vie folle de Berlin et de Münich, ses scènes pleines de folies et sa vie littéraire intense. Klaus commence jeune, dans l'ombre de son père, le grand Thomas, bientôt prix Nobel. S'il use de cette influence, il a la plume facile. Récits de voyages, articles, romans, pièces de théâtre l'installent tôt dans le monde est gens de lettre à cette époque où une partie de l'Occident s'ouvre sur la planète, quand l'autre s'enfonce dans la misère et le nationalisme revanchard.

Quelques pages émeuvent, consacrées à Crevel ou Cocteau. L'aventure d'un voyage autour de monde sans presque un sou, les dei ex machina qu'on n'imaginerait plus guère, les rencontres faciles. Il n'est pas question de sexe ou de cœur, presque pas. Ici ou là perce une allusion aux difficultés d'aimer quand on est, alors, un homme que les hommes attire. Il s'agit de délivrer un scénario public plus que le rouleau des sentiments privés - tout en s'accordant de régler, discrètement, certains comptes au passage.

Sans doute est-ce là une des source du plaisir que j'y ai pris : l'époque y est perçue au prisme de l'homme que son courant porte, sans pour autant qu'il en détienne d'autre vérité que la sienne. Témoin, partial évidemment, Klaus Mann découpe une tranche de son temps d'où l'on devine - mais devine seulement - une partie de sa vérité - et cela m'invite à en retrouver les tracés bifurquant de l'histoire.
Kliban
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le 17 oct. 2011

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