Le Serpent
7.8
Le Serpent

livre de Catherine Webb (2015)

Dans notre monde, tout du moins une version qui n'en est pas très éloignée, existe un établissement de jeux constitué de deux loges. La première, classique, héberge des jeux variés tel un casino et les joueurs y jouent de l’argent. La deuxième loge est fantastique : de par ses jeux et ses enjeux. Tout le monde ne peut pas y entrer. Y est parié un peu ce qu’on veut : sa vue, des années de vie, l’affection d’un être cher, sa mémoire, etc. Les jeux joués sont inhabituels. Cache-cache poursuite à travers le monde, comme dans les tomes 2 et 3 ; ou d’ordre politique (tome 1) : jouons à Diplomacy ou à Risk dans la vie réelle, prenons chacun un candidat à un poste politique et on verra qui gagne à la fin.

Et ça y est, j’ai presque fait le tour du lore de cette trilogie. Lors d’une partie standard les joueurs dans la seconde loge se voient distribués des cartes d’un jeu de tarot. Chaque carte représente un allié au service du joueur, en dette vis-à-vis de la maison. Représenter ces ressources par des cartes est modestement élégant, mais le concept n’est pas poussé plus loin. La Maison des jeux a des portes à travers le monde un peu comme Le Chateau ambulant / La maison de Hurle. Cela n’aura jamais d’importance, si ce n’est que c’est un bon prétexte pour situer les 3 tomes dans des lieux différents. Il y a une maîtresse des jeux qui gouverne la maison avec quelques serviteurs, arbitres, habillés en blanc. Le lecteur ne sait pas qui c’est et les joueurs de la maison non plus

Ok, Argent, si ; mais globalement

Voilà un peu de mystère ! Voilà qui captive !

Mais cette part d’intrigue ne sera exploitée qu’une vingtaine de pages en fin de trilogie.

Voilà vous savez TOUT de l’univers et de son « originalité ». J’imagine que vous êtes renversés, évidemment. Le premier tome a reçu le prix Imaginales 2023. Le décor est planté, parlons des personnages.

Chaque tome a lieu à une époque différente avec un personnage principal différent : XVIIe, début 20è, début 21è. Nos trois personnages sont accros au à la victoire, ben oui, sinon ils n’auraient pas accès à la deuxième loge semble dire le livre. Ah oui ? Ben non ça ne se ressent pas vraiment dans leurs comportements. Et ont-ils vraiment des défauts autres que celui-là ? Je ne vois pas clairement. Non pas que nos héros soient omnipotents pour autant, ils sont juste… tièdes.

Argent, le personnage principal du 3ème tome, tome qui est un peu le climax de la trilogie, est présent dans les tomes précédents ; la présence dans les deux autres tomes des deux autres personnages est anecdotique. Ce sont des personnages jetables, aux destins interchangeables. Si Thene est décrite au début du premier tome de manière assez intime, dans le développement, nos personnages sont assez artificiels. Thene et Burke existent pour faire trilogie et pour complexifier un poil la conclusion de l’ensemble. Chaque histoire raconte une partie de jeu, il y a donc matière à antagonisme fort. Dans le second tome l’antagoniste est presque charismatique ; mais sinon ces antagonistes sont peu existants.

J’en viens donc au récit : les événements concrètement racontés. Il n’y pas de fantastique dans ceux-ci. Tout le fantastique est autour de la maison des jeux décrite plus haut. Nous avons donc un premier tome concours politique, puis deux tomes de poursuite cache-cache. On notera la redondance de l’un des deux concepts. Tout le récit de chaque livre, si ce n’est pour la conclusion du 3ème, pourrait se situer dans un thriller bas de gamme sans maison des jeux. J’en profite donc pour souligner le point positif principal de cette trilogie, que je vais mettre en avant en usant de capitales : ÇA SE LIT SUPER FACILEMENT. C’est vrai quoi, c’est sympa.

(En passant : je note plus ou moins un changement de l'énonciation pour le troisième tome. Je pose ça là, je ne sais pas si c'est bien. Je n'avais pas matière à faire un paragraphe sur le style.)

Bon, pour le premier tome je me suis un peu senti volé du côté fantastique, mais j’allais y trouver un jeu d’échec mental des individus les plus intelligents sur terre, intrigues, manigances… Ben non. D’accord : écrire des personnages très intelligents c’est difficile. Après personne ne force cette autrice à avoir l’ambition d’écrire Arsène Lupin ou Death Note, pour n'en citer que deux. Les actes des personnages témoignent d’une intelligence moyenne. Ils ne pensent jamais vraiment leur coup à l’avance et surtout ce qui m’a manqué c’est que j’ai été très peu surpris. J’ai mangé trois tomes de personnages principaux qui font face à une succession de péripéties random. Et ça fait d’autant plus random qu’il n’y a pas d’échange entre ces personnages et leurs antagonistes. On voit des personnages qui tentent des trucs et souvent ça marche, parfois le méchant fait un truc méchant. Mais ça arrive gratos, sans vraiment crier gare. Donc l’ensemble ne gagne pas d’ampleur du fait d’une cohérence dans ces échanges de coups, pour utiliser un terme ludique. Je trouve les événements de la chronologie du récit en majorité interchangeables. Ils se concluent positivement ou négativement selon le besoin du récit, mais sans grande conséquence. Nos personnages n’ont pas de vrais défauts ou points faibles donc ils ne rencontrent pas de gros dilemme. Leurs décisions n’ont pas tant d’importance, l’autrice scénariste va les emmener à bon port. Je n’en ai jamais trop douté mais j’aurais bien aimé plus de surprises.

Pour les 20 toutes dernières pages, qui adressent la nature fantastique de la maison, la partie fantastique intrigante. En tant que lecteur c’est un moment que j’ai attendu trois tomes. Il y a bien une histoire d’oiseau ;) mais ça va pas loin. Par contre il y a de l’enjeu, plus que nulle-part ailleurs dans le récit : un enjeu personnel, c’est fou, ça peut exister ! Il y a une faible tentative de twist à base de Luke je suis ton père, mais ce twist est lui aussi très interchangeable : on n’a pas fait tant pour l’amener avant et on n’en fera rien après. Ça ne donne pas un nouveau visage au récit, rien n’est à revisiter, l’ensemble reste aussi vide.

Quelle élégance de l’autrice de clore le récit juste avant la plus grande décision de cette trilogie ! Non je déconne : c’est paresseux. Le personnage qui prend la décision n’a pas été assez creusé, développé, pour qu’un des choix fasse vraiment sens vis-à-vis de l’enjeu. Pourtant il s’est questionné un peu, pis on voit qu’il est triste, il y a quelques pages il a pleuré sans vraiment savoir pourquoi. Mais c’est un aveu d’échec de l’autrice : elle n’est pas en mesure d’acter, de caractériser clairement, l’évolution de son personnage. Parce qu’il n’existe pas.

L’éthique des décisions de la maîtresse de la maison sera parfois questionnée dans cette trilogie. Les mystères c’est cool. Mais cette piste intéressante restera un filon inexploité.

Le manque de profondeur m'a fait me demander si cette trilogie ne faisait pas partie d'une œuvre plus vaste, ce qui expliquerait le manque de développement. Et ben ce n’est pas le cas, c’est juste paresseux.

La Maison des jeux est un concept fantastique intrigant et plaisant, qui malheureusement ne prendra jamais d'ampleur tout au long de ces trois tomes. Il y a peu de fantastique, surtout une grande course-poursuite. Peut-être que vous pourrez en tirer des événements secondaires pour un scénario de jeux de rôles – je dis ça pour le côté interchangeable qui prévaut sur l’ensemble de l’œuvre. Mais ça se lit facilement et ça m’allait bien d’avoir une lecture qui ne soit pas trop stimulante avant de dormir.

J’aime beaucoup échanger. N’hésitez pas à argumenter contre cette vilaine critique.

Proph73
3
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le 25 avr. 2024

Critique lue 4 fois

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