Entre Nietzsche et le sacré

Ma note n’a pas la prétention de juger l’ouvrage mais de renvoyer à mon pur ressenti dans mon expérience de lecture. Rien de plus.

Surprenant par son nom, Khalil Gibran n’offre pas avec ce libre un texte sur Mahomet, comme l’on pourrait le penser pour un auteur libanais mais montre au contraire qu’une dimension religieuse peut dépasser la religion.

Petit manuel de vie, Gibran réalise dans ce livre un texte qui aurait pu être vieux de plusieurs millénaires s’il n’y avait en même temps une pensée mystique qui épouse, par certains aspects, la découverte du sujet, la réflexion philosophique des siècles et la saveur orientale simultanément. Américain, allemand et libanais simultanément. Libanais par la naissance, américain par la langue et le lieu de vie, Gibran est aussi allemand en cela qu’il est un héritier de Nietzsche.

Le style de Gibran dans ce livre épouse clairement la pensée nietzschienne sur bien des points et simultanément il s’en éloigne par d’autres aspects dans une forme de dialogue entre les deux prophètes.

Ce livre a une intelligence rare : celle du savoir sans la philosophie. Jamais Gibran ne se prétend philosophe, mais il est bien dans une volonté de savoir, dans une recherche de la Vérité, mais via des armes différentes : le mysticisme, l’amour, le sacré et bien entendu la poésie.

Je pense que ce livre peut ennuyer sur certains points, selon le lecteur, mais qu’il peut simultanément offrir des moments qui toucheront forcément n’importe quel lecteur. Dans mon cas, ce fut le passage splendide sur les enfants que je ne résiste pas à citer présentement :

Vos enfants ne sont pas vos enfants.

Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,

Ils viennent à travers vous mais non de vous.

Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,

Car ils ont leurs propres pensées.

Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,

Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,

pas même dans vos rêves.

Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux,

mais ne tentez pas de les faire comme vous.

Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.

L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance

pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.

Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;

Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable.