Le Président
6.7
Le Président

livre de Georges Simenon (1958)

Je connais depuis très longtemps le film de Verneuil que j'ai toujours apprécié et dont j'avais établi une critique il y a quelques mois. Maintenant que j'ai trouvé et lu le roman, je vais pouvoir en établir un avis... en m'amusant à y pointer quelques différences.
C'est un exercice que j'affectionne beaucoup car si le film illustre le roman en fournissant une image, un caractère au lecteur, le roman établit les bases, le fondement du personnage, son "back-ground". Le roman a le temps d'entrer dans des détails ou dans une description des lieux. A condition bien sûr que le réalisateur n'ai pas trahi l'esprit du romancier, on a ainsi deux aspects qui donnent une profondeur aux personnages. En d'autres termes, les deux, roman et livre, sont parfaitement complémentaires. Et même les écarts ont leur utilité car permettent de donner une réponse (possible) aux questions d'un lecteur (tourmenté par sa lecture) : et si le héros avait fait autrement ? Et si le héros n'avait pas connu x ou y ?


Le roman situe la retraite du Président dans une ancienne ferme proche de la côte haute-normande (on dirait aussi seinomarine pour les amateurs) entre Etretat et Fécamp. A ce propos, d'ailleurs, pour la petite histoire ..., Simenon se permet une inexactitude ; en effet, il dit que des falaises de Fécamp ou d'Etretat, par temps clair, on peut voir les côtes anglaises. Je viens de vérifier qu'il faudrait s'élever à une altitude de 800 mètres pour que cela soit possible (à cause de la rotondité de la Terre)... Nettement plus que l'altitude des falaises qui doit être de l'ordre de la centaine de mètres...


Alors que le film de Verneuil est un ouvrage plus politique puisqu'on y voit Gabin encore en exercice et fraichement à la retraite capable de peser encore sur certains hommes, le roman montre un président clairement à la retraite, très âgé, en introspection et s'illusionnant d'une éventuelle utilité ou d'un éventuel poids sur les affaires de l'Etat.
C'est d'ailleurs lorsqu'il comprendra son illusion et sa vanité, qu'il prendra acte que tout roule dorénavant sans lui et que la roue a définitvement tourné. Il entrera dans un nouveau monde où il revivra, en lui, ses souvenirs, ses succès et ses échecs.


Alors que le film montre un homme politique monolithique, dur et incorruptible, le roman met en scène un homme qui deviendra dur et incorruptible mais seulement après avoir tiré les leçons de quelques rares faiblesses ou échecs qui remontent à la surface.


Le style de Simenon dans ce roman ? Je dirais qu'on y reconnait Simenon ...
Par exemple, les phrases commencées et pas finies (dans les enquêtes du commissaire Maigret ou ses autres romans). C'est comme si Simenon lançait une idée dont l'explicitation totale n'est pas utile comme si elle allait de soi.
Le plus bel exemple dans le livre c'est la fameuse lettre qu'écrit Chalamont. Nulle part, Simenon n'éprouve le besoin d'en dire plus que "Je, soussigné Philippe Chalamont...". Le lecteur a parfaitement compris les tenants et les aboutissants sans qu'en plus on ait besoin de lui mettre les points sur les "i".
Un autre exemple toujours à propos de cette lettre que le président va aller retrouver cachée dans un livre. "A cet instant, il souhaitait ..." : quoi au juste ? Que Chalamont vienne le consulter ? Avoir Vingt ans de moins ? Qu'on vienne lui demande son avis ?
Le lecteur n'aura pas la réponse sinon que c'est un souhait fulgurant, qui traverse la pensée, qui finalement n'a pas tant d'importance.


Une autre caractéristique du style de Simenon est de rentrer très brièvement dans l'intimité d'un individu pour mieux le caractériser à travers ses défauts, ses vices cachés ou visibles, ses odeurs de sorte que le lecteur se fasse une image comme un flash ou comme une photo instantanée.


Au final le roman a quelque chose d'authentique. Simenon nous livre les clés d'un homme lucide qui sait maintenant que tout est derrière lui et qui doit prendre son meilleur parti de ce qui doit arriver, c'est-à-dire d'aller vers rien. Tranquillement et paisiblement.


- Vous dormez, s'inquiétait soudain Milleran ?
- Non, mon petit.
Il ajouta, après un silence.
- Pas encore.

JeanG55
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le 10 févr. 2022

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