En Gironde, dans la première décennie du XXe siècle, la famille Frontenac fait partie de la bourgeoisie aisée. Entre Bordeaux et Bourideys (dans le sud du département, non loin des Landes) Jean-Louis, José, Yves, Danièle et Marie vivent une adolescence dorée, étroitement protégés par leur mère – Blanche, veuve – et l’oncle Xavier, frère cadet de Michel, le père défunt.

Pour eux, la famille est tout : la priorité à laquelle tout doit être sacrifié. Xavier a renoncé à sa part d’héritage afin de laisser l’intégralité du patrimoine à ses neveux. Patrimoine qu’il gère pour eux en attendant que l’aîné – Jean-Louis – soit en mesure de reprendre les affaires familiales et de s’installer dans son rôle de patriarche omnipotent. On vit bien. C’est la belle époque. Les femmes portent des chapeaux compliqués et les premières automobiles foncent sur les routes de campagne.

Yves, le plus jeunes des garçons, est un loup solitaire. Il aime s’isoler pour écrire des poèmes dans un cahier dédié à recueillir ses tourments. Par jeu, Jean-Louis le lui subtilise et est immédiatement touché par la beauté et la douleur des vers composés par son jeune frère. Yves est heureux de cette émotion fraternelle : il se sent tout à coup compris, réintégré, légitimé au sein d’un groupe dans lequel il n’a toujours été que le mignon petit dernier. Un lien nouveau le rattache désormais à cette fratrie de laquelle il s’était peu à peu isolé. Les poèmes sont triés, sélectionnés, recopiés proprement et expédiés à une revue littéraire qui, contre toute attente, se montre enthousiaste et les publie. L’avenir d’Yves semble désormais tout tracé.

Dans la seconde partie du roman, le lecteur retrouve la famille à la veille de l’assassinat de Sarajevo. Nous sommes en 1913. Alors que Proust peine à trouver un éditeur pour le premier tome de sa Recherche, Yves s’est fait une place dans le milieu littéraire parisien dans lequel il mène une vie de dandy. Jean-Louis, après avoir rêvé de philosophie, est rentré dans le rang, a pris femme et a accepté de reprendre la direction des affaires familiales. José, d’abord dissipé, est entré dans l’armée et vit au Maroc sous les drapeaux. Quant aux frangines, Mauriac ne s’attarde pas sur elles : comme il était de coutume au XIXe siècle – qui n’est pas si éloigné – le seul espoir que le monde permet à une jeune fille est de faire un beau mariage, de devenir une bonne épouse et de pondre de beaux enfants – mâles, si possible. Pas de quoi fouetter un chat.

Le mystère Frontenac est une saga familiale, l’histoire de cette famille du Médoc unie par des liens très forts et impénétrables. Mystérieux. Douceur de vivre et torpeur de l’été landais. Culte de la terre, de la propriété rappelant un peu Zola. Mauriac jette un regard tendre sur ses personnages qui ont leurs qualités et leurs défauts. Leurs amours – parfois violentes –, mais aussi leur amour-propre. Leur générosité et leur égoïsme.

Un livre agréable à lire, au style riche. Un livre « familial » dans lequel on ne trouve aucun rebondissement fracassant, aucun coup d’éclat. Une histoire simple, d’une famille unie qui tente de traverser les années dignement et sans coup férir, dans l’honneur et le respect du patronyme. Un livre qui ne tourmente pas le lecteur. Qui ne le bouleverse pas non plus. Qui laissera probablement un sentiment agréable, léger mais certainement vague, très imprécis. Un roman peut-il être impressionniste ?
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le 17 juil. 2014

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