Jenny Fields, une jeune femme issue d’une famille bourgeoisie, transgresse les normes sociales de son époque. En 1940, alors que les femmes ne travaillent pas et sont vouées d’abord à être des épouses et des mères, Jenny Fields, à contre-courant décide d’être infirmière et mère, mais ne veut pas d’un mari. Jenny Fields, avec son franc-parler, écrira son autobiographie qui fera d’elle, malgré elle, une icône féministe, quitte à attirer les courants les plus extrémistes.

Mais détrompez-vous, l’histoire de Jenny Fields, pourtant passionnante, ne concerne que le tout début du roman (les cent premières pages). Elle donnera en effet naissance à Garp qui deviendra écrivain, et c’est lui qui est au coeur de l’histoire. Auteur d’une nouvelle et de deux romans dont on a quelques extraits insérés dans la narration, Garp s’interroge sur l’ambition d’écrire. L’inspiration vient-elle de l’invention totale, ou est-elle puisée de sa propre vie ? Si Garp se targue d’avoir beaucoup d’imagination, il n’empêche que les thèmes de ses romans reviennent toujours à son vécu et à ses obsessions ; et Le Monde selon Garp, bien qu’il soit souvent farfelu, est un roman autobiographique.

Malgré un début prometteur, Le Monde selon Garp est bien l’histoire de Garp, et surtout de ses obsessions agaçantes qui occupent une place bien trop importante dans ce très long roman. Si l’on devait résumer (et tout résumé est un peu faussé car réducteur), Garp est un écrivain obnubilé par le danger : le danger dans sa maison, en bas de chez lui, dans son quartier. Il cherche à tout prix à protéger ses enfants, sa famille, lui-même, du monde extérieur, jusqu’à devenir paranoïaque. Et comble de tout ça : le narrateur dit qu’il n’a pas le sens de l’humour. Garp est un homme ennuyeux à suivre. On apprend sans grande curiosité beaucoup d’éléments de son quotidien, la vie de ses amis, des gens qu’ils croisent ; quelques uns sont déterminants dans l’histoire, la plupart sont insignifiants.

Il y a bien des moments surprenants et vifs, amenant des situations rares en littérature, mais beaucoup de passages sont vraiment des digressions, comme quand Garp raconte comment il accoste les automobilistes dans son quartier résidentiel pour leur faire comprendre qu’ils roulent trop vite et pourraient écraser des enfants, ses enfants. Il nous raconte par le menu le type de conducteur à qui il a affaire et les stratégies qu’il met en place pour leur parler…

En plus de cela, le narrateur et l’entourage de Garp le définissent comme un être original et un écrivain talentueux. Or, ce n’est pas à force de se le voir répéter que le lecteur va y croire. Il y a comme une impression d’auto-louange agaçante.

Autobiographique ou pas, Le Monde selon Garp est assez ennuyeux, à l’image de son personnage. Être ennuyeux est un terrible défaut pour un livre qui fait 650 pages (et qui aurait pu en faire moitié moins) : la lecture devient une épreuve à partir du moment où on réalise que Garp est devenu tellement obsédé par la mort de ses enfants qu’il en vient à guetter les voitures qui roulent trop vite dans son quartier.

Il y a bien des qualités, mais elles n’effacent pas l’ennui que dégage le personnage.

Tout d’abord, la narration est agréable : les détails abondent, donnant une grande matière aux personnages, mêlant facilement le présent et l’avenir. Le plaisir n’est pas tant dans le fait de savoir ce qu’il va se passer, mais plutôt comment ça va se passer. Cette avalanche de détails n’est pas sans but, puisqu’elle permet au narrateur de mettre en place les éléments qui feront les drames. La création de scènes inhabituelles et surprenantes, ainsi que l’ironie du sort et la cruauté que John Irving réserve à ses personnages, relèvent aussi l’ensemble.

D’autre part, ce roman brasse beaucoup de thèmes passionnants, quoique pour certains puritains, comme le féminisme des années 1950 aux États-Unis et ses extrémismes, le viol, la concupiscence et ses dangereuses conséquences lorsqu’on cède à la tentation. Mais, malgré une certaine envergure, il part dans tous les sens et souffre d’une certaine vision d’ensemble.
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le 4 nov. 2013

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