Quand l’époque homérique prend vie

Ouvrage capital dans l’historiographie de la Grèce ancienne, écrit par un auteur pas moins important, Le Monde d’Ulysse est une lecture indispensable et très enrichissante pour ceux qui, comme moi, souhaitent continuer leur voyage et approfondir leurs connaissances sur le monde homérique.

L’idée originale, et qui pourtant pourrait paraître évidente, de Moses I. Finley, est de concilier poème et document historique dans les œuvres d’Homère. Finley pense que derrière les chefs-d’œuvre littéraires se cache une certaine vérité historique qu’il faut apprendre à déceler en analysant les descriptions qui reviennent fréquemment. Homère ne peut avoir tout créé ex-nihilo, et il apparaît qu’il emprunte en effet tant à de vieilles traditions mycéniennes, qu’à des pratiques qui se sont perpétuées pendant les Siècles Obscurs jusqu’à l’époque du poète. L’Iliade et l’Odyssée nous fourniraient donc des informations sur une époque de l’histoire grecque qui nous était restée si inconnue jusque-là.

Le monde chanté par Homère prend ainsi vie au cours de notre lecture, un monde d’hommes reposant sur des valeurs semblables, l’hospitalité, l’honneur, un monde aristocratique à l’organisation relativement simple, où la frontière entre les grands personnages et le démos était respectée. Le monde grec des Siècles Obscurs correspond à une société basée sur les grandes familles, leurs domaines, leurs richesses amassées lors de pillages, mais à l’autorité parfois fragile. On est très loin de la société Mycénienne très centralisée et à l’administration monstrueuse, dont les tablettes en linéaire B témoignent. Le monde d’Homère est également un monde oral, et le poète se fait le porte-parole de toutes ces traditions qui se sont transmises d’aède en aède, traditions comportant toujours quelques vestiges de l’époque pourtant lointaine des Mycéniens.

D’un coup, toutes nos idées reçues sur ce qu’on appelle le «Moyen-Âge Grec» volèrent en éclat, et les travaux sur cette période primordiale précédant l’éclosion de la polis et de la pensée grecques se multiplièrent. Finley fut le visionnaire qui débloqua un pan entier de l’histoire grecque, et les ouvrages modernes que l’on peut lire sur la période des Siècles Obscurs n’existeraient pas sans son travail remarquable. Certaines de ses analyses ont depuis été retravaillées, approfondies, mais la plupart restent étonnamment valides et consolidées par les découvertes archéologiques postérieures à la sortie du Monde d’Ulysse. Le travail rigoureux de Moses I. Finley a porté ses fruits, et nous ne pouvons que lui rendre hommage pour son apport considérable à l’Histoire.