Le Mesnevi est indissociable de son auteur, Djalâl al-Dîn Rûmî qu’on appelle couramment en occident Rûmî. Rûmî fut un mystique persan, ayant vécu la majeure partie de sa vie à Konya en Anatolie, qui a profondément influencé le soufisme et a servi d’inspiration à la confrérie des derviches tourneurs ou mevlevis. Si vous voulez en connaître plus sur Rûmî, je vous invite à lire Eva de Vitray-Meyerovitch et son Rûmî et le Soufisme.
Parmi ses œuvres, le Mesnevi tient une place de choix et fait partie de ses œuvres les plus connues, encore lues et récitées dans des pays tels que l’Iran et l’Afghanistan. Il a été composé au XIIIe siècle en farsi (persan) et illustre sous la forme de contes, ou plus précisément de fables, « la condition humaine dans sa recherche de Dieu. Composé d'environ 25 000 distiques, les histoires allégoriques du Masnavi puisent leur inspiration de versets du Coran, certaine fois même d'un seul verset. L'ouvrage a également une importance historique, en effet l'auteur fait régulièrement référence à des croyances populaires et décrit les différents mode de vie des différentes couches de la société, les différents groupes sociaux, etc... Il décrit par exemple la plus ancienne méthode connue pour faire parler un perroquet. L'œuvre s'inspire aussi de fables d'Ésope, mais adaptées pour souligner un des aspects les plus fondamentaux de l'islam, le Tawhid c'est-à-dire le monothéisme » (cf Wikipedia). En intégral, le Mesnevi comprend 424 histoires et on nous propose dans cet ouvrage une sélection de 150. « En outre, le nom de l'œuvre a fini par désigner un style poétique lyrique bien particulier, la poésie masnavi. Masnavi-I Ma'navi peut être traduit par « couplets rimés d'une profonde signification spirituelle » » (cf. Wikipedia).
Si je lis fable, je pense forcément à ce bon La Fontaine que j’ai ânonné longtemps devant les tableaux noirs. Si la comparaison s’opère facilement dans de nombreux cas, on observe de nettes différences. Dans l’intention, Rûmî cherche par ces fables à expliquer des versets du Coran alors que La Fontaine dénonçait les abus de sa société. Rûmî tente de rapprocher le croyant de Dieu alors que La Fontaine dispense une morale. Je me rappelle chez La Fontaine d’un riche bestiaire auquel on avait donné la voix et la pensée et qui aurait pu sortir d’une œuvre de Rabelais. Chez Rûmî, les animaux restent des animaux et n’ont que rarement la parole et encore moins la pensée. Les protagonistes sont soit des croyants soufis ou non, des infidèles chrétiens ou indiens et parfois même des personnages historiques connue comme Mahomet, Moîse, Jésus, les califes comme Omar ou des sultans comme Mahmoud de Ghaznî.
Ces fables sont courtes et se lisent rapidement. Elles m’ont transporté dans un monde similaire à mes yeux aux contes des mille et une nuits. Les attitudes et sentiments ont été variés mais toujours positifs : amusé comme dans Volé, dubitatif dans Poils, surpris dans Convaincu … Et j’en oublie sûrement … A vous de vous faire votre propre idée maintenant …

Convaincu
Un musulman exhortait un chrétien à se convertir :
« O ! Viens embrasser l’islam et sa foi !
-Si Dieu le veut, fit le chrétien, il me fera embrasser la foi. C’est lui qui procure la connaissance et Lui seul peut m’ôter tout doute ! »
Le musulman insistait :
« Dieu veut que tu embrasses la foi afin d’échapper à l’enfer, mais ton maudit égoïsme et la compagnie de Satan te dirigent vers le blasphème et vers l’Eglise !
-L’Eglise m’a convaincu ! fit le chrétien, et j’en fais partie car il est plus agréable de se lier avec qui t’a convaincu. Dieu me demande de faire preuve de fidélité. Aussi dois-je être constant. Si mon ego et Satan peuvent agir à leur guise, alors la clémence divine n’a pas de sens. Toi, tu veux construire une mosquée, imposante et pleine d’ornementation. Mais celui qui te suivra en fera un monastère. Tu as tissé avec beaucoup d’amour une pièce de drap pour t »en faire un manteau, mais quelqu’un est venu, te l’a dérobée et s’en est fait un pantalon ! Si on gaspille le drap, celui-ci peut-il en être tenu pour responsable ? Si je suis ainsi déshonoré, c’est que Dieu l’a voulu. A quoi bon prétendre que la volonté divine se réalise toujours si la volonté de l’ego règne en maître ? Sans la volonté de Dieu, personne ici-bas n’aurait de volonté, ne serait-ce que pour un instant. Si tu penses que je suis le plus vil des infidèles, sache-le, j’en suis moi-même convaincu ! Si le destin accomplit ses volontés en contradiction avec la volonté divine, alors il vaut mieux se soumettre à Satan car c’est lui qui sortira vainqueur. Mais si un jour Satan devient mon ennemi, qui me protégera de lui ? Crois-moi, c’est bel et bien la volonté de Dieu qui se réalise. Ce monde lui appartient et l’autre aussi. Sans un ordre, nul ne saurait bouger un doigt. C’est à lui qu’appartiennent les biens, les décisions et l’ordre universel. Et Satan n’est qu’un maudit chien qui lui appartient !

Poils
Il y avait un prédicateur d’’une grande éloquence. Hommes et femmes ne se lassaient de l‘écouter. Un jour, un homme nommé Djouha, le visage voilé, se mêla aux femmes. Quelqu’un demanda au prédicateur :
« La valeur des prières est-elle annulée si l’on omet de se raser le pubis ? »
Le prédicateur répondit :
« Si les poils sont trop longs, la prière en est souillée et mieux vaut se rase rafin que vos prières soient pures. »
Une femme demanda alors :
« Quelle est la longueur autorisée ?
-Si les poils dépassent la longueur d’un grain d’orge, dit le prédicateur, alors il faut les raser. »
Alors Djouha s’adressa à sa voisine et lui dit :
« O ma sœur ! Veux-tu avoir l’obligeance de poser la main sur mon pubis, afin de vérifer si mes poils ne sont pas trop longs et ne souillent pas ainsi mes prières. »
Quand la femme eut mis sa main sous sa robe, elle toucha son membre et poussa un grand cri :
« Mes paroles lui ont touché le cœur ! dit le prédicateur.
-Non pas ! s’exclama Djouha. Son cœur n’a pas été touché ! Ce ne sont que mes mains. Qu’aurait-ce été si tu lui avais touché le cœur ! »

Les enfants crient pour obtenir des noix et des raisins. Mais, pour le cœur, les noix et les raisins sont sans valeur. Toute personne voilée est comme un enfant. Si la noblesse de la virilité résidait dans les testicules ou la barbe, alors il vaudrait mieux la chercher chez les boucs. Ils guident les moutons, mais c’est pour les conduire chez le boucher. Ils prennent grand soin de leur barbe en proclamant avec fierté : « C’est moi qui conduis les innocents ! »
Prends le chemin de la fidélité et ne t’occupe pas de tes polis !

Volé
Un homme menait son bélier sur un chemin en le tenant par une bride. Des voleurs, arrivant par derrière, coupèrent la bride et emportèrent l’animal. Quand il s’aperçut de sa disparition, l’homme se mit à chercher de tous côtés. Il trouva un homme en train de se lamenter au bord d’un puits.
« Que t’arrive-t-il ? demanda t-il.
-Mon sac plein d’or vient de tomber dans le puits. Si tu parviens à le récupérer, je te donnerai un cinquième, c’est-à-dire vingt pièces d’or ! »
L’homme se dit :
« Cette somme est exactement la valeur du bélier que j’ai perdu. J’ai perdu un bélier mais Dieu m’offre un chameau ! »
Il se déshabilla et descendit dans le puits tandis que l’autre filait en emportant ses vêtements !
Le voleur avide apparaît devant toi à chaque instant sous une nouvelle image.

Créée

le 8 oct. 2014

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