Lu en Mars 2022. Ed. LdP 7/10


Dans la lignée de ma lecture du Bourgeois Gentilhomme, j'ai décidé de lire l'ultime pièce de Molière. Il faut garder à l'esprit que c'est une comédie-ballet, donc l'oeuvre perd encore plus que d'habitude sous sa forme écrite.
Et non, Molière n'est pas mort sur scène et non Molière n'a pas créé une œuvre fataliste sur sa condition, il avait encore bien des projets comme tendent à le prouver les travaux onéreux réalisés dans sa salle peu de temps auparavant.


À noter aussi que l'églogue qui précède la pièce est aujourd'hui tout à fait hors sujet. Elle célébrait le retour de Louis XIV, victorieux en Hollande.


Acte 1 : Comme toujours, le premier acte est une exposition. Les enjeux sont les mêmes que d'habitude : un mariage de fille qu'un père voudrait autrement. Et surtout un père idiot et escroquer par tous, femme, médecins, religieux etc…
"Ce Monsieur Fleurant là, et ce Monsieur Purgon égayent bien sur votre corps ; ils ont en vous une bonne vache à lait" (Toinette, I-3)


"Voilà une femme qui m'aime… Cela n'est pas croyable." (II-6)


Toinette, comme la Dorine du Tartuffe, a du caractère ! Ce sont certaines de ses remarques qui permettent le rire.
"Quoi, Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? et avec tout le bien que vous avez vous voudriez marier votre fille à un médecin. ?" (I-5)


"ARGAN : Monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de rente.
TOINETTE : Il faut qu'il ait tué bien des gens, pour s'être fait si riche." (Idem)


Sinon, pour le moment, le rythme très rapide des répliques, sans beaucoup de fond, ne permet pas des grandes nuances ou un rire éclatant de situations grotesques.
"Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux." (ARGAN, avec emportement, I-5)


Ceci dit, Diafoirus, en tant que nom, est un effet comique à lui seul.


L’incipit qui met en scène le monologue répétitif d'Argan reste quant à lui remarquable. On pourrait presque être dans l'absurde tant c'est long et grotesque pour du Classicisme.


Intermède 1 : Doit être très agréable à voir et entendre en vrai. Ça n'a pas grand chose à voir avec la pièce mais l'italien c'est joli et la situation est assez comique : Polichinelle chante son malheur d'aimer Toinette puis se fait battre pour tapage nocturne.


Acte 2 : Ce n'est pas vraiment comique et d'ailleurs Argan est l'un des personnages les plus durs (quoique toujours aussi naïf) que j'ai pu lire chez Molière. La violence avec laquelle il semble battre sa fille Louison (II-8) et son autorité abusive sur Angélique, c'est assez terrible.
Sinon, le comique de cet acte, c'est le prétendant Thomas Diafoirus qui part dans des envolées lyriques apprises par cœur quand il doit interagir avec un autre personnage. Il est tout à fait ridicule. Tout comme les pensées arriérées de son padre :
"Il suit mon exemple, il s'attache aveuglément aux opinions de nos Anciens, et jamais il n'a voulu comprendre, ni écouter les raisons, et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle, touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine." (II-5)


L'interaction chantée entre Cléante et Angélique au nez et à la barbe de tous reste une bonne trouvaille.


Acte 3 : Humour et traits d'esprits plus fonctionnels dans ce dernier acte même si la fin est toujours aussi facile et similaire.
Comme dans Tartuffe c'est le frère du protagoniste qui est l'homme rationnel, qui démonte les mythes de la médecine quitte à bousculer les croyances du vieillard.
"ARGAN : Mais raisonnons un peu, mon frère. Vous ne croyez donc point à la médecine ?
BÉRALDE : Non, mon frère, et je ne vois pas que, pour son salut, il soit nécessaire d'y croire. [...] Ils [les médecins] savent la plupart de forts belles humanités ; savent parler en beau latin, savent nommer en grec toutes les maladies, les définir, et les diviser ; mais pour ce qui est de les guérir, c'est ce qu'ils ne savent point du tout." (III-3)
- Très proche de Dom Juan (III-1)


Finalement ce même vieillard finit par s'adoucir quelque peu quand il s'aperçoit dupé par sa femme, mais rien de grandiose, une simple fin de relation. Par contre il est dupé par Toinette déguisée en Médecin et le fait que ça puisse marcher, c'est génial.
"TOINETTE, en médecin : Et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné par tous les médecins, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes, et l'envie que j'aurais de vous rendre service.
ARGAN : Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi [...] Me couper un bras, et me crever un oeil, afin que l'autre se porte mieux ? J'aime mieux qu'il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot !" (III-10)


Molière avait connu les désagréments avec les mauvaises interprétations de ses pièces, il prévient donc les coups de feu :
"ARGAN : C'est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies, et je le trouve plaisant d'aller jouer d'honnêtes gens comme les médecins.
BÉRALDE : Ce ne sont pas les médecins qu'il joue, mais le ridicule de la médecine." (Idem)


Intermède final : Ça par contre c'est un gros délire très drôle. Sous prétexte de parler en "petit latin", Molière fait dire à une assemblée de médecins (qui ressemble plutôt à une secte) des choses horribles pour introniser un nouveau médecin.
"Ego cum isto boneto / Venerabili et docto / Dono tibi et concedo / Virtutem et puissanciam, / Medicandi / Purgandi / Seignandi / Percandi / Taillandi / Coupandi, / Et occidendi / Impune per totam terram." (p192)


Le Malade Imaginaire est une gentille pièce de Molière, sans doute plus intéressante à voir représentée que lue comme presque toujours. Le comique est moins présent que dans d'autres oeuvres et les problématiques fonctionnent mais ne sont pas hilarantes. On aurait même de la facilité à récupérer cette pièce pour en faire un étendard anti-scientifique.


Cette lecture marque pour moi la fin (pause ?) d'une série de lectures de beaucoup de théâtre ces 3 derniers mois. Plus ça va, plus je me dis que ce genre est un faux genre littéraire. Qu'il est tout à fait à part dans les études de lettres et prend toute sa portée dans les arts du spectacle. Ça reste souvent des moments intéressants ou agréables voire transcendant quand le texte et l'histoire le sont. Mais les qualités se révèlent sans doute bien plus dans leur forme complète, ce pourquoi ces textes ont été écrits et pensés. Au final, si le texte fonctionne et suffit pour certaines pièces très littéraires (Racine par exemple), je préférerais assurément la version écrite des pièces que j'aime si elles n'étaient pas des pièces mais bien des romans.
Mais on peut sans doute aussi préférer le théâtre dans sa forme pratique, sorte d'art total par rapport à la littérature qui repose uniquement sur la puissance évocatrice des mots.

Arimaakousei
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le 15 mars 2022

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