Avant de claquer, Boulgakov décide (entre autres) de régler ses comptes à ce que le monde de l’art compte de plus méprisable, c’est-à-dire les « artistes » conventionnels et en ligne avec la doxa artistique de la Russie stalinienne. Un carcan dans lequel il passera sa carrière, mais qui va constamment l’emmerder à coup de censure de paragraphes et d’œuvres (après on a quand même joué ses pièces, parfois sous ordre de Staline donc boooooon pas Soljenitsyne quand même…). Il a le seum.

Son seum a du bon car il accouche de ce roman absolument incroyable, drôle, tragique, rythmé et très référencé (big up aux notes de bas de page d’André et Françoise, LA traduction à privilégier). Un roman que l’on peut reprendre par tous les côtés pour ses multiples angles d’approche : religion, athéisme, vie en collectivité, stalinisme, art…

Il y a déjà ce personnage du diable, impayable avec sa suite, un méchant pas si méchant et surtout extrêmement cool (I’m a man of wealth and taste comme l’avaient très bien pigé les Stones). Il vient foutre un mega bordel au sein d’une élite remplie d’artistes abruti, ignares et égocentriques affiliés au pouvoir (« il faut reconnaître que, chez les intellectuels aussi, on trouve des gens d’une intelligence rare »). Dans une séquence où il se la joue Oprah Winfrey version drop-shipping, le diable nous laisse voir ce que le stalinisme a fait au projet d’Homme nouveau de la révolution (« Est ce que les moscovites ont changé intérieurement »). Résultat, le moscovite de 1930 est le même voire pire qu’avant : menteur, cupide, cruel, rendu sociopathe par la vie en collectivité, consommateur comme à l’ouest, volage pour certains. On se dit qu’il force un peu, mais les personnages du Massolit nous rappellent constamment leur médiocrité donc on team avec le diable et ses srabs à la lecture.

Restent Marguerite et le Maitre, seuls personnages qui semblent assez intègres dans le coin (avec peut-être Sans Logis, racheté par son baptême bizarre avant d’être interné ?). Après des introductions tardives mais grandioses des personnages, à coup de varappe à l’hosto pour l’un, et d’une mystérieuse histoire de Biafine destinée à un sabbat pour l’autre, ils prennent la place centrale du roman. Il me semble qu’on peut les assimiler à plusieurs persos types : en premier lieu l’artiste (Boulgakov donc ?) et sa muse (mais bien plus empowered que d’habitude), Henri 4 et la Reine Margot (j’y réfléchis encore), Roméo et Juliette (avec un twist).

Après la lecture, beaucoup de questions me restent en tête : remettre en place les tonnes de références musicales dans le roman (Berlioz, Gounod, Stravinsky,…) ; Natacha qui chevauche un porc pour balancer ses porcs (habile et précurseur) ; quel regard sur Ponce Pilate ; et, qui est le diable (Un passage du songe de Marguerite laisserait penser que Woland/le diable est aussi Jésus après sa crucifixion, car seum de la cruauté de ce qu’il pense être son père qui l’a laissé mourir).

Enfin, ce roman c’est aussi le Harry Potter d’André Markowicz et Françoise Morvan (bigup à la partie d’échec vivant de Woland). Ça balance la masse de puns avec traductions des noms de protagonistes : Krapulnikov, Fofrevoski, Kagibi, Bitov (ok posez ce verre de vodka maintenant). Un régal.

lorangeade_
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le 7 janv. 2024

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