Livre attendu à l'heure où tout le monde s'interroge sur ce qu'il y a dans la tête de Poutine. Et ce qu'il y a dans la tête de Poutine nous est révélé dans le livre par son conseiller, un certain Baranov dont d'ailleurs on ignorera toujours quels conseils il a jamais pu donner à Poutine... Et si même des gens comme Poutine ont besoin de conseillers.
Méditation sur le pouvoir, "le Mage du Kremlin" est aussi un essai sur le pouvoir absolu, sur la dictature et la solitude inhérente à ce type d'exercice. De Poutine on n'apprendra rien qu'on ne sache déjà : son opportunisme, sa vie d'espion, le fait qu'il est sans cesse obsédé par l'humiliation et qu'il s'est identifié à la Russie dont il entend relever la terrible "défaite" de la désagrégation de l'URSS et de la façon dont le capitalisme incontrôlé s'en est emparé.
La Russie, comme le disait Samuel Huntington, est une "puissance pauvre" et la richesse des pauvres c'est leur idéal, en l'occurence dans le cas de Poutine la résurrection de l'empire par tous les moyens, surtout la force et avant tout la force. La force dans l'affaire du Koursk, dans les otages pris par les Tchétchènes, dans ses rapports avec ses vassaux, etc., aujourd'hui avec l'Ukraine. Poutine apparait dans le livre comme un personnage fascinant de ceux qui fascinent les peuples justement, parce qu'ils se posent en héros absolus, c'est-à-dire en pères tout puissants, en pères fascistes. Ces gens-là, quoiqu'ils fassent ont pour leurs enfants, c'est-à-dire leur peuple, toujours raison, même quand ils ont tort, et ce n'est pas là le moindre de leur attrait. En conséquence tout ce que décide Poutine sera justifié par avance par la nécessité liée à l'idéal.
En contrepoint, le livre nous laisse entrevoir ce que l'on devrait opposer à tous les Poutine que l'histoire ne cesse d'engendrer, et ce sur quoi, lorsqu'on se réclame de la démocratie, on devrait s'appuyer et aller jusqu'à se battre : la force du droit contre la force de l'absolu souverain. La force du commun et des citoyens contre la force du monarque. La violence de la raison contre celle de l'arbitraire. Mais le combat n'est pas gagné, tant "les hommes forts", les "appels au père" ne cessent de se multiplier dans le monde chaotique dans lequel nous sommes plongés. Là où dans les démocraties, nous critiquons, nous hésitons, discutons, atermoyons, les Poutine, eux disent : "suivez-moi, j'ai en ma possession tout ce qu'il vous faut pour vous rendre fiers et dignes! Les autres, les soi-disant démocrates avec leur bonne conscience qu'ils veulent nous jeter à la figure, ne sont que des dégénérés qui nous plongent dans la confusion !"
Et tout cela marche depuis la nuit des temps et ne cesse de marcher. Parce que c'est simple et efficace. Le phénomène analysé remarquablement par Freud dans "Psychologie des foules et analyse du moi" n'a jamais rien empêché. L'armée et l'Eglise, une conjonction remarquable pour faire marcher en cadence : on n'a jamais rien trouvé de mieux, dès lors qu'il se trouve un homme pour en régler le mécanisme et donner à chacun l'illusion qu'il est celui que tout le monde attendait. Poutine dans les pas de Staline, a très bien compris où se situer.