En ce livre à la prose insidieusement poétique, ce dandy « kaléidoscopique » que fut Lascano Tegui (selon le mot de Norah Lange) célèbre une Argentine quasi mythique où l’ironie mordante rejoint le fantastique en des raccourcis souvent étonnamment abrupts. Emilio Lascanotegui, qui s’autoproclama un beau jour Vicompte de Lascano Tegui, naquit en 1887 et passa son enfance à Buenos Aires dans le vieux quartier San Telmo. Buenos Aires où il finit également sa vie (1966). Mais entre-temps, il vécut à Paris entre 1914 et 1936 où il rencontra Apollinaire, Picasso, Modigliani, Foujita et bien d’autres encore. Il fut peintre, décorateur mais aussi dentiste (selon ses dires) puis entama une carrière de diplomate. Si dans son écriture on reconnait une indéniable forme de parenté avec celle de Jorge Luis Borges, c’est pourtant bien le méconnu qui inspira le célébré et non l’inverse. Aussi, si vos gouts sont portés vers l’imaginaire, la poésie et l’humour, découvrez vite cet ouvrage surprenant dont voici quelques extraits caractéristiques :


« Ils débarquèrent sur des plages tièdes peuplées de lucioles - paillettes bon marché de la nuit cosmique -, s'emparèrent des ravins surplombant des rivières et fondèrent des villes en prenant Dieu à témoin - un dieu Argus qui les observait par les trous du ciel que sont les faces froides des planètes. »


« Sans les étoiles consolatrices, parures lointaines de la mer coloniale, jamais l'homme ne se serait fixé sur cette terre désolée, dépouillée des arbres d'or de Cathay et de Cipango à la veille de la visite des soldats obtus du Grand Capitaine don Gonzalo de Cordoba, un homme déçu par le roi don Fernando avant que le roi ne fût déçu par le diable. »


« Tout était fait avec de la boue, ainsi que furent modelés Adam et Eve aux premières heures de l'incapacité humaine. Le Suprême architecte conféra à la boue un destin sans rapport avec sa résistance. Ce matériau fut mal choisi. Un ingénieur comme Phidias aurait tiré parti du marbre, matériau noble que l'on vouera finalement au carrelage des cabinets de toilette. »


« Flottait un ciel perpétuellement céleste, aussi proche de la main que peut l'être un plafond. Nombres de fusées lancées à la faveur de l'allégresse coloniale en profitèrent pour ne pas exploser et se faufiler sans ambages dans ce ciel si bas; sans doute sont-ce ces comètes fantômes qui bouleversent aujourd'hui les lois mathématiques de l'astronomie. »

steka
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le 13 juin 2018

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