L'alternance Jackson / Livingstone s'arrête ici, le premier étant parti écrire Sorcellerie!, une série dérivée des Défis Fantastiques qui a connu son petit succès. Ce qui nous intéresse ici, c'est le Labyrinthe de la Mort, probablement le plus connu de tous les Défis Fantastiques, l'un des LDVH les plus mythiques de l'âge d'or du genre, en bref : un classique. Peu importe que ce soit un livre médiocre.


L'histoire… non, de qui je me moque ? Ce bouquin est construit sur un concept, pas sur une histoire. Le concept est le suivant : chaque année, des aventuriers de tous horizons se rendent dans la bonne ville de Fang pour participer à l'Épreuve des Champions (à ne pas confondre avec le livre homonyme qui est en fait la suite de celui-ci), un concours organisé par le potentat local, qui répond au doux nom de baron Sukumvit. Leur objectif ? Franchir un labyrinthe souterrain bourré de monstres et de pièges mortels. Leur récompense ? Dix mille pièces d'or ! Tentant, n'est-ce pas ? De quoi se faire tatouer mille licornes sur le front aux prix en cours à Port-du-Sable-Noir, ou bien de quoi s'offrir les services du passeur de la Montagne de Feu trois mille trois cent trente-trois fois et avoir encore une pièce dans sa bourse au moment d'entrer dans le labyrinthe final ! Il est donc bien compréhensible que l'aventurier anonyme du jour décide de s'inscrire à cette Épreuve des Champions.


Inutile de le nier : quand, comme Ian Livingstone, on ne sait écrire que des donjons, ce pitch relève du génie, puisqu'il explique d'un seul coup tous les problèmes qu'on pouvait trouver dans la Forêt de la Malédiction ou la Cité des Voleurs. On ne peut pas faire demi-tour ? C'est pas grave, l'objectif est de traverser le labyrinthe, pas de se balader ! Les couloirs sont rectilignes et orientés suivant les points cardinaux ? C'est normal, c'est un environnement 100 % artificiel, l'architecte n'allait pas s'amuser à faire n'importe quoi ! Les péripéties s'enchaînent sans rime ni raison ? C'est normal, c'est fait exprès ! Il n'y a qu'un seul chemin pour boucler l'aventure et il est affreusement difficile à trouver ? C'est normal, le baron Sukumvit n'a pas vraiment envie de filer dix mille pièces d'or à n'importe qui ! Bien entendu, d'autres problèmes apparaissent sitôt qu'on y réfléchit un peu (le Labyrinthe est censé exister en vase clos, ce qui est tout bonnement impossible), mais le livre ne vous demande pas vraiment de réfléchir de toute façon.


Oh, il va bien essayer de vous le faire croire ! Par exemple, les autres concurrents qui entrent dans le Labyrinthe en même temps que vous, ça semble une idée sympa, pas vrai ? Peut-être qu'il faudra nouer des alliances, se méfier de tous, être prêt à donner des coups de couteau dans le dos ? Non : à chaque fois, ils connaissent toujours le même sort, invariablement. Une possibilité d'ajouter de la replay value bêtement négligée par Livingstone. Ensuite, le « labyrinthe » du titre ne doit pas vous induire en erreur : l'endroit reste aussi facile à cartographier que la Forêt ou la Cité, vous ne vous sentirez jamais vraiment perdu à l'intérieur. Ce qui vous perdra, ce sont évidemment les innombrables pièges et monstres qui occupent les lieux. Les combats difficiles sont nombreux, les épreuves délicates ne le sont pas moins, et le tout baigne dans un arbitraire qui correspond certes au concept mais vous obligera à recommencer encore et encore et encore l'aventure. À chaque fois, pour peu que vous ayez de la chance aux dés, vous irez un peu plus loin que la fois d'avant, pour tomber dans le piège suivant ou face au monstre suivant. Répétez ad nauseam.


Vous avez dû deviner que je trouve ce bouquin à peu près aussi amusant qu'un extrait du code civil. La difficulté est absurde et oblige à des relectures qui relèvent de plus en plus de la corvée à chaque itération, les rencontres et monstres ne sont pas franchement enthousiasmants (quand votre meilleur concept, celui que vous choisissez pour la couverture, c'est une larve géante couverte de piquants qui marine dans son jus, c'est pas bon signe…), et même les illustrations de Iain McCaig, esthétiquement irréprochables, ont troqué leur loufoquerie contre un sérieux qui n'aide pas à les rendre mémorables. Si vous aimez perdre votre temps dans des donjons, vous apprécierez sans doute le Labyrinthe de la Mort davantage que moi. C'est sans doute un livre à lire, tant il en est venu à symboliser la littérature interactive pour toute une génération, mais gardez à l'esprit qu'il en offre une image passablement étriquée.

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le 23 janv. 2015

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Tídwald

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